Purple Reine
Véritable déluge de couleurs et d'images, "Kick-Ass" s'ouvre sur une séquence hautement décalée. Celle-ci donnera le ton sur la suite des évènements. "So, you wanna play ?" U GOT THE LOOK Pour...
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le 16 juil. 2014
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On ne le répétera jamais assez, tous les films ont une chose en commun, du cinéma avant-gardiste des années 20 aux Indiana Jones de Spielberg, des expérimentations plastiques des frères Quay aux travaux de Fritz Lang, des comédies de Jean-Marie Poiré aux tentatives de Seijun Suzuki... Ce point commun, c'est que tous les films communiquent avec leur public, sans exception. Les surréalistes ont bien tenté, via l'exercice du cadavre exquis, de se débarrasser d'une construction préalable de la pensée pour échapper aux préceptes narratifs habituels. Mais quoi qu'il arrive, pas moyen d'exploser l'une des seules règles universelles du cinéma, soit le fait que deux plans qui se suivent créent du sens, aussi peu sensé soit-il ! Rejet, amusement, contentement, incompréhension... L'éventail de réactions est vaste.
Cette petite intro pour expliquer un fait récurrent que certains ont peut-être remarqué dans les pavés qu'il m'arrive de pondre : j'ai une (petite) obsession pour la communication entre film et public, cet élément-clé qui, à mes yeux, est le seul apte à offrir une vision globale de la narration audiovisuelle. Kick-Ass ne fait bien entendu pas exception à la règle, et il n'a d'ailleurs pas l'intention de réinventer la roue. En revanche, il semble avoir envie de comprendre comment elle fonctionne. Traduction : n'allons pas raccrocher le film méta de Vaughn à du André Breton, ce n'est pas son affaire, mais jetons un oeil à ses mécanismes. Car l'air de rien, la décontraction affichée de l'objet aura tellement joué en sa faveur qu'elle a noyé le poisson. Et presque six ans après sa sortie, Kick-Ass continue d'incarner une forme bien spécifique de divertissement.
Qu'on le veuille ou non, chaque film de genre est jugé en fonction des autres représentants dudit genre où il s'inscrit. Dans le cas du détournement, la position est plutôt confortable au sens où le film, pour remplir son contrat, se doit de jeter un regard amusé sur un genre spécifique. L'enchaînement de gags peut donc suffire à installer un long-métrage dans l'esprit du public, comme l'a montré le carton colossal de Scary Movie au début des années 2000. Le travail des frères Wayans, loin de se soucier des personnages ou des enjeux (même comiques), offrait un maximum de vannes sur la trame de Scream, le tout émaillé de parodies moins attendues (dont celle de Matrix, sorti un an plus tôt). Résultat, Scary Movie lui-même fut indirectement parodié via tous les Big Movie, Scary Scream Movie et autres Spartatouille de sinistre mémoire, films à ce point motivés par la recréation du succès de Scary Movie qu'ils ne prenaient pas le temps de digérer un concept en forme de one shot.
Là encore, la communication film-public joue un rôle majeur tant les dérivés de Scary Movie (et quelque part, ses suites tournant à vide) se sont contentés de répéter une bonne blague grasse. Et vous savez ce que c'est : plus on répète une vanne, plus elle perd en efficacité. Alors si en plus la vanne initiale ne cherchait rien d'autre que voguer dans l'air du temps... De son côté, Kick-Ass va forcément être jugé à l'aune du genre qu'il parodie, genre qui n'a alors pignon sur rue que depuis huit petites années - soit depuis la sortie de Spider-Man en 2002, qui allait mettre Marvel sur orbite. Certes, Kick-Ass a pour lui d'être adapté d'un matériau préexistant, soit une BD bien violente où les super-héros étaient déjà détournés. Reste que du papier à l'écran, rien n'empêchait le projet de finir dans la guignolade la plus totale, sauf sa manière de communiquer avec le public.
C'est sur ce point précis que Kick-Ass marque des points, et se voit justement salué comme un film rafraîchissant. Bien sûr, les prestations à la fois drôles et très humaines de Aaron Johnson, Nic Cage et de la toute jeune Chloë Grace Moretz, entourés de seconds rôles à la hauteur, assuraient déjà au film un capital sympathie. Là où Kick-Ass se distingue, c'est qu'il compte parmi les rares films de super-héros de notre ère à proposer un point de vue de metteur en scène aussi affirmé, chose qui se ressent jusque dans sa bonne humeur communicative. En sortant, on se demande bien ce qui a pu emporter aussi efficacement l'adhésion, et on se retrouve vite à énumérer ses meilleurs moments, de la première apparition de Mindy à l'entrée en scène de Hit-Girl, en passant par la voix très Adam West de Big Daddy et les crises de colère du bad guy, tout cela fondu dans une direction artistique délicieusement colorée.
Or, pour peu que l'on cherche a vraiment comprendre la posture d'un film comme Kick-Ass, pas moyen de seulement énumérer les meilleurs gags comme on pouvait le faire après Scary Movie. Car si on se plaît à reconnaître des clins d'œil complices (une scène à la Sergio Leone, score de Morricone à l'appui), on s'aperçoit que toute l'œuvre profite d'une charpente où la blague n'est jamais une fin en soi. Il suffit de voir comment Vaughn traite le versant dramatique de son histoire pour piger combien ce film-là n'a rien à voir avec l'image de délire indé inoffensif auquel son affiche le prédestine, le cinéaste choisissant le plus souvent ses axes de caméra en fonction de l'effet à produire sur le public. Malgré un budget serré, Kick-Ass laisse donc penser qu'il n'a pas été confectionné au hasard, et ses scènes-clés parlent pour lui.
Le gag, au cinéma, fonctionne souvent sur un effet de réaction. Si un coffre s'apprête à tomber sur la tête de Roger Rabbit, c'est la mine résignée de Bob Hoskins qui donne à la scène une nouvelle saveur. Si François Pignon/Pierre Richard se ridiculise lors du braquage des Fugitifs, c'est la tronche incrédule de Depardieu qui décuple l'impact comique de la scène. Si le spectacle d'hommes déguisés en femmes peut faire sourire, c'est la dynamique du trio Lemmon/Curtis/Monroe, et leurs réactions respectives, que Billy Wilder a également su capter dans Certains l'aiment chaud. Un principe acquis par Kick-Ass, et dont il use pour faire avancer la caractérisation des personnages. C'est ainsi qu'un voleur de bagnoles éclate de rire à la vue du héros (tout sérieux dans son costume vert) lors de sa première intervention, que Kick-Ass lui-même hallucine de voir une gamine dégommer les dealers qui allaient le mettre en pièces, et bien sûr, c'est ce qui explique le faciès tendu de Mark Strong, mafieux à qui l'on annonce régulièrement les pertes humaines parmi ses sbires !
Vaughn maîtrise assez la méthode pour se permettre de l'appuyer à des moments stratégiques, comme la découverte du massacre du hangar par le même bad guy, qui tire un facepalm pas possible après vision d'une vidéo de surveillance. En soi, cette manière de communiquer avec le public révèle déjà les efforts en coulisses pour placer très clairement les limites de la distance à prendre avec le genre. Si cette distance est trop courte, les gags manqueront d'évidence. Si elle est trop longue, le film peut virer à la bouffonnerie. Vaughn étant homme à aller au bout de ses idées, il va mettre à profit le principal outil de communication d'un film : sa grammaire filmique. Travail post-moderne, Kick-Ass réinjecte pourtant aux super-héros des qualités émotionnelles que l'on peine désormais à trouver chez ses plus gros concurrents.
Et puisque l'on parle de grammaire, difficile de ne pas évoquer la séquence du sauvetage de Big Daddy, qui contient toute la sève du long-métrage. L'idée de l'observateur d'un événement hors norme (référent du public face à un gag improbable) est cette fois réduite à un plan fixe et à un seul axe de caméra : les trois amis de Kick-Ass qui s'apprêtent à voir son exécution en direct sur Internet. Un dispositif sommaire, sans mouvement complexe. En parallèle, l'homme se lance dans une acrobatie délirante pour dialoguer avec le spectateur, la scène observée à distance par les personnages secondaires devenant, pour le public du long-métrage, un immersion inédite dans le langage filmique mis à profit. Pour cela, Vaughn va explorer en cinq minutes les plus belles possibilités qui s'offrent à lui.
Soit, à l'écran, un basculement entre une vidéo Youtube et...le point de vue subjectif de la fillette. Rien que ça ! D'un point de vue froid (si ce n'est par l'empathie des observateurs amis, puis la jubilation du bad guy), Vaughn opte pour une immersion absolue, et absolument grisante. Le choix est d'autant plus payant qu'il ouvre une troisième brèche, vers le jeu vidéo cette fois, le spectateur/joueur placé dans la peau de Hit-Girl retrouvant des sensation dignes d'un FPS virtuose. Kick-Ass ne lésinant pas sur la violence, le résultat prend une saveur d'autant plus évidente que le metteur en scène joue constamment sur notre suspension d'incrédulité, transformant le sauvetage en ballet tragi-comique. Aux cris de souffrance de Nic Cage se succèdent les actions héroïques d'une gamine qui s'accomplit dans l'action, le passage dans son entier étant ainsi dicté par des enjeux humains.
Une telle corrélation entre grammaire filmique et objectifs fixés (faire passer le public du rire aux larmes) a de quoi donner des frissons à chaque nouvelle vision, a fortiori au sein d'un produit à la démarche aussi fragile. Dans ces conditions, aucun problème à ce que Matthew Vaughn refasse trait pour trait la scène du premier saut de Spider-Man, Kick-Ass décidant de ne pas sauter au tout dernier moment. Une autre manière de marquer ses distances, avec respect et humour, envers le film qui a rendu possible la vague de super-héros actuelle, pour le meilleur et pour le pire. Parfois accusé de faire du cool à tout prix, Kick-Ass est surtout un brillant exercice qui passe à une vitesse folle, offrant au genre une poignée de personnages magnifiques, fracassés, attachants et iconiques sous l'objectif de Vaughn.
Bien entendu, ce n'est pas demain la veille que Kick-Ass sera étudié en école de cinéma, mais pour ceux et celles qui cherchent désespérément un film de super-héros bien pensé, pas étonnant de hisser le long-métrage vers les sommets du genre qu'il détourne. On ne le répètera jamais assez, du plus ardu des films d'auteur au plus bourratif des blockbusters, tout film communique avec son public. Quel que soit le matériau, il suffit d'en avoir conscience et de travailler son langage pour accoucher d'un film marquant. Dans le cas de Kick-Ass, divertissement gonflé qui a souvent le cœur sur la main, c'est peu dire que le travail de déconstruction du genre s'accompagne d'un désir de reconstruction méchamment jouissif.
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le 10 sept. 2017
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