(TW VIOL)
J'ai toujours apprécié le travail de ce cercle de réalisateurs/photographes indépendants dont fait notamment partie Larry Clark, Gus Van Sant, Harmony Korine, etc. Particulièrement dans leur capacité à garder un réalisme et un rythme humain dont l'effroi nous glace le sang à chaque instant. Cette esthétique nous permet de ressentir chaque émotion de manière décuplée, et l'ennui ressenti sur certains films ne fait que rajouter une strate à cet effroi, puisque l'enfer devient banal.
Dans "Kids" l'effroi est d'autant plus présent que le fatalisme de Larry Clark résonne toujours aujourd'hui, rien n'ayant changé au sein de cette jeunesse prolétaire en perdition. Les scènes d'abus, de tous types, sont toujours les mêmes, peu importe l'époque. Alors, ces longues soirées malsaines, où la jeunesse se détruit, fonctionnent en dualité avec le sous-texte touchant à la montée inévitable et inarrêtable du Sida dans les années 90. L'errance que nous présente le film est parsemée de moments douloureux que l'on vit sans substance avec les personnages, comme perdus avec eux. C'est en ça que le découpage de ce film possède un intérêt particulier : D'abords, nous sommes introduits aux personnages, jeunes, misogynes, violents, pauvres de surcroit. Puis l'on développe leurs environnements, comme un portrait qui s'établit au fur et à mesure que le film se déroule. Et plus on les suit, plus l'on comprend que le but qu'avait Larry Clark avec ce film et son œuvre en général, depuis ses débuts dans la photographie, c'est de retranscrire, de cette manière brute qui le caractérise, cette souffrance qui traine dans chaque aspect de la vie de pauvre à New York.
Le film n'hésite pas à filmer comme à travers un regard humain, neutre, qui survolerait chaque scène sans rien dire, comme pour rendre complice le spectateur de chaque exaction. Alors les longues scènes de sexe non-protégés, de viols et de prise de drogue par des enfants bien trop jeunes, nous impactent comme des coups de massues.
Lors d'une scène de discussion entre les garçons, un miroir est mis en place avec une soirée de fille, des mêmes milieux, même jeunesse, mêmes exactions. Et l'on comprend que le film nous montre que les deux sont similaires à la différence que les filles sont victimes et alors le portrait que nous fait le film est complété. Les horreurs ne sont pas excusées, notamment par cette réalisation sobre, presque pauvre, qui exprime d'où viennent ces tares, mais ni ne les censure ni ne les minimise.
Alors le film démarre sur une scène de viol, et termine sur une scène de viol. Afin de boucler la boucle de l'horreur, avec une froideur terrifiante dont rougirait n'importe quel réalisateur grossier. Une boucle synthétisant le nihilisme de Clark qui nous dit :
"Depuis trente-cinq ans, je traque cette même vérité qui mêle innocence et destruction."
Et le fait de s'entourer d'Harmony Korine, venant de ce milieu-là, lui a permis de montrer cette réalité avec une justesse hors-du-commun.
(cf.https://www.lexpress.fr/culture/cinema/larry-clark-pourquoi-j-ai-filme-kids_610883.html)