Entre les cimes Sonatine (1993) et Hana-Bi (1997), Kid’s Return est, en 1996 une œuvre plus mineure de Kitano ; elle n’en reprend pas moins tous les thèmes de son œuvre, en les abordant plus ou moins de front.
À travers l’histoire de deux cancres, on définit deux trajectoires qui semblent irrémédiablement s’éloigner l’une de l’autre : la mélancolie au cinéma de Kitano fonctionne déjà à plein régime. Dès le début du récit, les protagonistes n’appartiennent plus à la structure scolaire, sur le départ, sans savoir vers quelle direction. On retrouve cette impassibilité, cette sorte d’acceptation fataliste d’une inadéquation au monde qui fait la grandeur des poètes discrètement désespérés de Sonatine ou Hana-Bi : par leurs jeux potaches, leur recours au racket, les adolescents expriment dans le jeu et la violence une révolte en forme d’impasse.
Car Kids Return diffère des opus qui l’entourent en ce qu’il aborde la gestation des destinées, l’ébauche : le monde des yakusas n’est ainsi qu’une toile de fond, une tendance, une direction à prendre, sans qu’on s’y exprime avec la violence et la pluie de plomb qu’on trouvera dans les films suivants : on s’en tient pour le moment à une autre forme de criminalité, finalement tout aussi brutale : celle, entre élèves, d’un racket qui initie à la soumission quotidienne. Le monde des adultes, une salle des profs un peu neurasthénique, ne semble rien pouvoir faire pour infléchir cet état de fait.
L’esthétique se met elle aussi en place : par l’importance accordée à la musique, une litanie qui revient à intervalle régulier et accompagne avec mélancolie cette ode à la fuite du temps, et un recours fréquent aux plans d’ensemble, perdant deux silhouettes dans une ville indifférente à la place qu’ils ne parviennent pas à s’y faire. Les trajets en vélo, les courses d’entrainement sur ce pont et les escaliers qu’on descend et gravit en courant, tout concourt à une certaine distance, un recul un peu désabusé sur la destinée d’une jeunesse dénuée de repères.
Le rythme en pâtit néanmoins : la partie sur la boxe, d’abord assez pertinente, a tendance à la redondance, et l’impasse des personnages contamine un peu celle de la dynamique du récit lui-même, qui peine à progresser, dans sa tonalité comme dans sa narration.
Il faudra attendre que ses personnages grandissent pour que le cinéma de Kitano arrive à sa splendide maturité, celle d’un refus pourtant poétiquement immature de l’ordre immuable des choses.