Du haut d’un vélo dans la cour de leur bahut, ça vivote, ça frappe du premier de la classe pour se payer des cigarettes ou mater des films pour adultes. Vivre de l’air du temps en somme, sécher pour des digressions qui sont autres. Kitano, à travers le destin de trois (surtout deux) adolescents en pleine crise d’horizon, se glisse dans la peau de cette jeunesse qui se marginalise elle-même, à la limite de la déscolarisation, abandonnée à leur propre sort où le terme de famille est une notion sans définition. L’auteur se focalise sur Shinji et Masaru, des petites frappes, aussi proches que complémentaires, qui terrorisent leurs camarades et blasent leurs professeurs qui ne savent plus quoi entreprendre pour les remettre dans le droit chemin. Sauf qu’un beau jour, le revers de la médaille arrive, et l’un des deux se prend une branlée par une sorte de teigneux, amateur de boxe.
Ce jour-là, ce n’est pas juste les stigmates de la violente correction qui reste dans l’esprit de Masaru, mais aussi cette envie d’aller plus loin, de peut-être pourquoi pas, se découvrir une voie propice à un certain épanouissement. Se venger, mais pas que de ça, mais tout le vide qui avoisine leur quotidien. Dans ce récit aussi rêche qu’un coup de trique, porté aux nues par une bande sonore majestueuse signée Joe Hisaishi, Kitano va directement à l’essentiel, tisse ses coutures avec finesse et se fait maitre dans l’art de la reconstitution d’un geste, d’un fracas existentiel, d’un certain stakhanovisme de l’effort par l'échancrure de la violence, notamment à travers le sport qu’est la boxe où Shinji va exceller malgré sa silhouette un peu frêle. D’un boxeur taiseux, travailleur mais mal conseillé, d’un yakusa qui monte aussi vite les échelons qui les descendra, d’un chauffeur de taxi qui patine, Kids Return est englobé dans une amertume sensible, dans un environnement sociétal élitiste qui marche sur à l’envers par son corporatisme hiérarchique humiliant et son incapacité à se solidariser, qui se lit dans la gestuelle aussi péremptoire que fissurée.
Dans les salles de boxe ou dans les petits restos de comptoir, Kitano chérit cette adolescence, nous faisant ressentir son empathie, son habilité à démontrer leurs luttes où tout est bringuebalant, avec cet avenir qui marche sur un fil avec l’absence totale de figures paternelles fortes. Car derrière ce diagnostic sur une adolescence qui se cherche tant d’un point intellectuel, amoureux, financier ou même artistique, les symptômes crache leur désenchantement, et le réalisateur japonais n’oublie pas d’étriper un monde adulte incompétent et distant, froid et corrompu par son langage et ses codes d’honneur mortifères qui se digressent aussi rapidement qu’ils se dogmatisent, pour endoctriner une société presque déjà morte. Dans son habituel esthétisme aussi ample que simple mais parfaitement adroit dans sa faculté à scruter l’émotion, de passer de la tristesse sensorielle à la drôlerie burlesque potache, c’est un chemin de croix qui s’enracine devant les yeux de ces losers magnifiques, aussi freluquets que vauriens, où l’inéluctable échec aura raison de ses protagonistes.
Car l’adolescence c’est aussi cette fameuse interrogation qui concerne le point de chute d’une vie, où ces jeunes lascars courent en ligne droite dans un tunnel dont ils ne voient pas le bout. Mais de ces échecs et de ce retour à l’enfance, une seule chose n’a pas bougé d’un iota : cette irrémédiable amitié, cette volonté de s’amuser, une alliance indestructible. Les tatouages, les victoires sur le ring n’y changeront rien. Paroliers des cours d’écoles, ou petites racailles en manque de repères, chacun y va de son désespoir et ses attentes, de son droit à exister et à être écouté sans avoir peur de prendre des coups. Kitano parle et fait parler ces « non droits », qui ne sont pas finis malgré leur chute et les déboires.