Hier à la cinémathèque de Nice était retransmis en version française Kiki la petite sorcière. Le film était selon la cinémathèque principalement destiné aux enfants mais l'intrigue, qui peut s'apprécier en sa simplicité, se déploie à mesure que nous faisons écho en nous des émotions et sentiments de la petite sorcière. Manifestement, Miyazaki nous livre un film complexe en avançant masqué et en restant mystérieux.
Esthétiquement, le film est magnifique. La ville, que l'on imagine aisément se trouver au Portugal, est superbement dessinée. L’on observe avec évidence la prédominance de scènes se déroulant en soirée, à l’heure entre chien et loup, entre bleu et noir. Comme nous oscillons entre cette heure et le jour, nous oscillons en suivant Kiki entre le monde de l’enfant et celui de l’adulte.
Celui de l’enfant est simple mais magique, fait d’émerveillements. Celui de l’adulte est bruyant, conventionnel, désastreux. Liberté néanmoins subsiste de choisir son monde. Par exemple, la boulangère, par sa pleine acceptation de l'Autre, c'est-à-dire de Kiki, est comme un pont entre les deux mondes que tout semble, jusqu'à son apparition, séparer.
Kiki est une sorcière. Son pouvoir magique est de voler. Elle parle aussi à son chat noir. Mais son pouvoir est aussi, implicitement, sa singularité, son idiosyncrasie, sa sensibilité propre qui s’exprime à travers sa manière particulière de regarder la ville qu’elle diapre pour le plaisir de nos yeux, rendant muet les bruits assourdissants d’une ville moderne par sa vitesse, ne gardant seulement que les impressions qui réchauffent son cœur, ce qui réchauffe le nôtre.
Kiki se fabrique un conte d’enfant que rien ne semble pouvoir enlaidir. Le décor de son action est fixe et, de par son enthousiasme, presque expressionniste. L’enfant traverse joyeuse ces tableaux bigarrés qui se succèdent.
Par l’intermédiaire de Tombo, jeune garçon passionné d’aviation et qui en pince pour Kiki, un engin entre avion et vélo apparaît dans le monde de Kiki. L’engin vole très peu mais cela suffit pour en faire un détonateur. Le monde de Kiki s’écroule peu à peu, il se désenchante. La technique remplace la magie. Le conte se referme en même temps qu’elle monte dans l'engin volant.
Le monde se désenchante aussi quand elle accepte de s’ouvrir à Tombo et découvre, tel un louveteau dans une meute de chiots, le monde d’une jeunesse étrangère au sien. Elle laisse de côté aussi sa première impression que lui avait fait Tombo (elle le prenait pour un voyou), impression enfantine, certes, mais qui laisse suggérer comme une nostalgie de la part de Miyazaki (ou en tout cas une ambivalente évocation) d’une période précédant celle des premiers ébats.
Le dirigeable sur lequel elle tombe (presque littéralement) avec Tombo achève de détruire le conte de Kiki. Elle perd sa magie en perdant le sentiment de l’utilité mais surtout en perdant l’innocente vanité de l’enfant, l’ignorance qui rend heureux.
Finalement et heureusement, le monde adulte s’avère désastreux et l’irruption du dirigeable dans l’histoire est calamiteuse. Kiki y perçoit le message que sa magie est nécessaire. Par celle-ci, elle agit, tandis que dans une oscillation entre deux mondes, deux ambiances, deux formes de vie, nous assistons au spectacle des adultes sidérés et donc paralysés à la vue de l’accident de dirigeable, écoutant le commentaire de leur propre impuissance organisée, de leur impuissance forte de son désenchantement.
Kiki retrouve son pouvoir et sauve, d'un rien, Tombo, être symbolisant la technique, action réconciliant tout le monde et lui permettant d'accepter d'habiter en la ville qui l'a élue sorcière.