Kiki la petite sorcière
7.3
Kiki la petite sorcière

Long-métrage d'animation de Hayao Miyazaki (1989)

Miyazaki fait partie de ces réalisateurs dont la filmographie est si variée qu'il est impossible de s'accorder sur un film qui ferait l'unanimité. Chaque film touche le spectateur d'une façon particulière, parlant au vécu comme à la sensibilité de tout un chacun. Dès lors, même si l'on peut objectivement admirer Le Voyage de Chihiro ou Princesse Mononoké qui sont souvent considérés comme ses plus grands chefs-d’œuvre, il est bien difficile de les comparer ou même d'argumenter sur le pourquoi du comment tel ou tel « Miyazaki » est notre préféré à nous. Un cinéma intime comme il en existe peu. Si Le Château Ambulant restera ma première histoire d'amour avec le réalisateur japonais, Kiki la petite sorcière est celui qui aura gagné mon cœur avec le temps et l'âge.


Dans ce monde au carrefour de la féerie de Ponyo, de l'innocence de Totoro et de la liberté de Porco Rosso, une petite sorcière débarque sur son balai accompagnée de son chat Jiji (qui est sûrement l'un des compagnons les plus mignons du cinéma) et de sa bonne humeur illuminant les rues. Les dessins sont éblouissants, la ville est belle, très belle. On retrouve les couleurs chaudes des cités méditerranéennes qui subliment les architectures aux inspirations plutôt nordiques. Une sorte d'Allemagne en bord de mer en somme ; un pur bonheur. Candide, Kiki fait d’abord face à la gêne et l’incompréhension des citadins, noyés dans leur petit quotidien et le tumulte de la rue. L’accueil est glacial, les policiers sont à ses trousses sans que la jeune sorcière ne comprenne ce qu’elle a fait de mal. En réalité, son seul tort est de ne pas être comme les autres. Mais personne ne semble vouloir l’aider car personne n’en a le temps : il faut courir sa vie. Or Kiki ne court pas, elle vole ! Et derrière ce voyage initiatique aux allures de conte, c’est avant tout une invitation que Hayao Miyazaki fait au spectateur : une invitation à accepter sa différence, et surtout – surtout ! –, à rester toujours égal à soi-même.


Ainsi, sur les envolées musicales d’un Joe Hisaishi au sommet de son art, notre apprentie sorcière part à la rencontre du monde, allant des petites gens que sont la boulangère et son mari aux familles les plus fortunées, sans préjugés ni intérêts aucuns, simplement pour aider. Dans sa petite boulangerie de quartier, nichée dans une chambre peu confortable, Kiki croque la vie à pleines dents sans chercher le faste ou le superflu : un bout de tissu noir pour robe, un vieux matelas pour lit, son chat pour meilleur ami, et des crêpes pour unique nourriture. Mais peu importe, car à l’instar de son amie artiste-peintre qui vit heureuse, seule dans les bois en s’adonnant à sa passion, Kiki sait que son bonheur ne tient pas à grand-chose. En fait, il tient surtout à celui des autres : rapporter la tétine perdue d’un nourrisson, aider une vieille dame à faire un gâteau, livrer une peluche à un enfant quitte à devoir traverser toute la ville. Kiki s’en excuserait presque d’être là, de prendre trop de place, de faire trop de bruit, de perturber le bonheur des autres sans savoir qu’elle en est la principale contributrice. Vous l’aurez compris, c’est dans une atmosphère de douceur que nous accompagnons les personnages dans ce quotidien simple mais attachant.


Puis vient la rencontre avec Tombo, un jeune garçon passionné d’aviation, thème omniprésent dans l’œuvre de Miyazaki. Le ciel est l’objet d’une quête de toute une vie, que ce soit pour l’ingénieur du Vent se Lève, pour Kiki qui cherche à maîtriser son balai ou pour les enfants du Château dans le Ciel qui scrutent les nuages à la recherche de leur eldorado. Tombo tente de familiariser Kiki avec son monde à lui, de lui faire rencontrer ses amis ou encore de l’inviter à une grande fête. Si cela part évidemment d’un bon sentiment, la sorcière sait bien que ce monde n’est pas fait pour elle, même si derrière sa froideur apparente et ses refus catégoriques se cache une curiosité qu’elle peine à refouler. Elle est attirée par cette ville, par ses habitants, par cette vie qui est celle d’à peu près tout le monde. Être comme les jeunes de son âge, et puis grandir, et être comme tout le monde. Toute personne en éprouve le désir à un moment donné… et c’est là que Miyazaki intervient : Kiki en perd ses pouvoirs, son chat ne lui parle plus et ne la comprend plus, son balai ne lui obéit pas. Son monde s’effondre et Kiki paraît rattrapée par une réalité qui n’a pourtant jamais été la sienne. Alors on pleure, on est déçu et attristé par la tournure des événements, loin d’imaginer que ce film éclaboussant de sourires puisse nous émouvoir de la sorte.


Et lorsque Kiki comprend que sa plus grande force, c’est d’être elle-même, rien qu’elle-même, ses pouvoirs ressurgissent comme par magie. Mais pas une magie de sorcière, non, une magie humaine. La magie, c'est comme la peinture, la musique ou tout autre aptitude que quiconque réalise avec passion et amour transforme en véritable pouvoir magique. C'est enfin la magie d’un réalisateur inégalable dont l’art ne se contente pas de retranscrire le réel : il le sublime, sans pour autant l’idéaliser. Miyazaki offre une vision optimiste de l’Homme et de la société, jamais utopiste, qui ne cesse d’étonner jusqu’à en pleurer quand les gestes les plus simples, comme tendre la main à un ami, sont réalisés avec autant de sincérité.



« – Un chat noir, une robe noire, tout est noir.



– Kiki, ce n’est pas la couleur des habits qui compte, c’est le cœur. »


Créée

le 1 sept. 2017

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Jules

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