Toute œuvre de Miyazaki est un mélange de plusieurs problématiques chères au réalisateur japonais. Une de ses thématiques favorites m’a toutefois marqué dans Kiki : le vol, ou pour éviter tout confusion, parlons d’envol.
Dis comme ça, je donne l’impression de redécouvrir l’eau tiède. Certes, mais le développement du sujet reste assez surprenant.
Cette curiosité m’est apparue dès le début du film, juste avant que l’adolescente ne s’envole vers sa nouvelle vie.
« Allez papa, fais-moi voler comme quand j’étais petite. »
Curieux désir d’une sorcière qui sait véritablement voler. D’autant que l’on apprendra plus tard qu’elle est montée très jeune sur un balais avec sa mère. Dès le départ, le réalisateur pose les deux moteurs du film : voler et rêver de voler.
Ceci est d’ailleurs sous-jacent dans une grande majorité de l’œuvre de Miyazaki. A l'exception du très terrien Princesse Mononoke, et du marin Ponyo sur la falaise, son cinéma est aérien (à voir un petit rappel ici). Rien d’étonnant venant d’un homme, dont l'oncle possédait une entreprise en aéronautique qui produisait des avions de chasse et que son père dirigeait. Un élément biographique qui se retrouve dans Porco Rosso et Le vent se lève. Pour anecdote, le nom Ghibli est un terme qu'utilisaient les pilotes italiens pendant la Seconde Guerre Mondiale pour désigner leurs avions de reconnaissance, en référence au vent chaud qui souffle dans le désert du Sahara. En choisissant ce nom, Miyazaki voulait faire « souffler un vent sensationnel sur le monde de l'animation japonaise ».
Dans son œuvre, Miyazaki fait une distinction entre deux types d’objets volants : ceux pour qui c’est « naturel » (oiseaux, créatures magiques, cochon volant (???), etc.), souvent représentés avec des mouvements gracieux, et ceux qui représentent la volonté humaine de dominer le ciel, souvent incarnée par des machines pataudes et pétaradantes.
Kiki n’échappe pas à la règle. Cette dichotomie se retrouve d’ailleurs chez les personnages. D’un côté, Kiki, pour qui le vol est une seconde nature. De l’autre, Tombo et Ursula.
Le jeune garçon incarne ce rêve de voler, qu’il veut atteindre par tous les moyens. Il crée d’ailleurs avec son vélo à hélice le « premier avion à énergie humaine », curieux mélange entre le mécanique et l’homme, mû essentiellement par sa volonté.
La jeune artiste de son côté a une approche plus spirituelle. Elle recherche l’essence du vol, d’abord auprès des oiseaux, ensuite auprès de Kiki. Son tableau s’intitule d’ailleurs « Le vaisseau volant au-dessus de l’arc-en-ciel ». Alors qu’elle s’est dite inspirée par la sorcière, elle utilise le terme de vaisseau, créant ainsi une sorte de synthèse.
Il est d’ailleurs intéressant que ce sot ces deux « rêveurs » qui redonne à kiki l’envie de voler. Cette dernière perd son pouvoir quand le vol devient mécanique, quand il se déshumanise. Le dialogue entre Kiki et Tombo, sur la plage, face au dirigeable, est particulièrement représentatif.
Kiki : « Voler c’est bien, mais quand on le fait pour gagner sa vie, c’est moins amusant. »
Tombo : « Kiki, tu n’as pas le droit de te plaindre d’avoir le pouvoir de voler. Tu es une sorcière. »
Finalement, être sorcière ne suffit pas pour voler. Il faut une autre forme de magie. Chez Tombo, c’est le désir de voler. Chez Ursula, il s’agit de l’inspiration. Kiki ne vole plus quand elle a perdu cette magie. A l’inverse, son chat noir Jiji choisit de perdre sa magie pour s’intégrer dans cette société désenchantée.
Cette perception de l’envol est particulièrement intéressante chez les habitants de la nouvelle ville de Kiki. A son arrivée, les acrobaties aériennes de la petite sorcière sont considérées comme source de problèmes et non pas d’émerveillement. L’un de ses premiers contacts étant avec un policier. La sorcière et son balai deviennent intéressants à leurs yeux à partir du moment où elle assure un service, qu’elle devient utile. A l’inverse, les habitants sont particulièrement émerveillés et attentifs au dirigeable qui a atterri dans leur ville.
Cette position peut s’expliquer dans le dialogue ci-dessus. Il y a un certain « snobisme » dans le vol des sorcières, qui renvoient au plancher des vaches les autres humains. A l’inverse, le dirigeable incarne la démocratisation du vol, l’envol pour tous, sans l’apprentissage et l’hérédité de la sorcellerie.
Toutefois, comme souvent chez Miyazaki, la perte de la magie est signe de catastrophe.
Dans Kiki, il s’agit de l’accident de ce dirigeable, qui va d’ailleurs causer beaucoup plus de dégâts qu’une simple sorcière sur son balai.
Miyazaki glisse de nouveau son message d’alerte habituel, que la modernité ne se fasse pas au détriment de la nature ou, ici, de la magie. Il cherche avant tout l’équilibre.
Un équilibre qui s’incarne dans le générique de fin du film lorsque Kiki et Tombo s’envolent ensemble, elle sur son balais et lui sur son vélo volant.
PS : Le titre ne veut rien dire, mais je n’ai pas pu m’en empêcher.