Annecy 2020 aura décidément été une étrange et excitante aventure. De la virtualité inhérente au contexte sanitaire à l'annonce, la veille du festival, de l'absence de tous les films les plus attendus même pour le jury SensCritique (chronologie des médias oblige).
Ainsi, pas de Calamity ni de Petit Vampire et encore moins de Lupin III, mais une sélection élargie à la compétition Contrechamp (équivalent d'Un certain regard à Cannes). D'un festival bon enfant avec les dernières propositions du cinéma d'animation accessible, on est passé à une sélection hétéroclite passant d'un très jeune public cible à des expérimentations clairement impénétrables.
"Kill It and Leave This Town" pourrait se situer dans la seconde catégorie, mais parvient à s'en dégager par un des propos les plus purs et intenses qu'il m'ait été donné de voir en animation.
Très rapidement, le film se détache des codes de narration et de mise en scène classiques, mais à l'inverse de "Luxuriance..." garde un propos assez clair avec des références visuelles récurrentes et un rythme bien maîtrisé.
Qui dit film polonais, dit film sombre et morne. Le cliché de la nation post-soviétique à la tristesse suintante est ici parfaitement confirmé. Pourtant "Kill It" est loin d'être un film qui se morfond sur lui-même, au contraire il adopte une forme minimaliste et déprimante pour exprimer une parole intime, détachée de tout le superflu pour ne garder que l'essence même des choses.
Le réalisateur Mariusz Wilczynski s'y dessine dans une sorte de fresque psychanalytique sur certains événements traumatiques ou marquants de sa vie. On l'y voit se rapprocher d'une femme qui ne pense plus pouvoir être aimée pour une déchirante scène de danse où la femme rapetisse jusqu'à avoir la taille d'une enfant sur les genoux de Mariusz, l'alter ego du réalisateur. On l'y voit également dans une douloureuse scène où il compose son film à côté de sa mère mourante qui essaie de lui parler pendant que lui ne répond que brièvement à ses questions. Le regret de ne pas avoir été plus proche et à l'écoute de sa mère avant qu'elle décède donne à la suite du film une couleur amère, mais aussi profondément humaine.
Le style graphique, quasiment griffonné et jamais véritablement soigné se dévoile à travers des collages et des angles improbables, confinant au surréalisme dans de nombreuses scènes où le symbolisme prend le pas sur la narration classique. Le réalisateur n'hésite pas non plus à inclure dans ce symbolisme et dans sa mise en scène de nombreux détails coquins voire ostensiblement crus. La sexualité se mêle étrangement à la cruauté des scènes dans un ballet contre-nature mais qui ne fait que renforcer la nature sordidement vraie du film.
Tous ces éléments sont brillamment mis en scène dans un bouleversant moment de cinéma, à la fin du film. Mariusz s'élance dans l'eau et pendant sa nage croise des paquebots miniatures sur lesquels des gens s'enlacent, s'étreignent et se livrent sexuellement. On reconnaît notamment la figure de ses deux parents dans leur prime jeunesse puis dans leur grossière vieillesse. Les spectres de la mort, de la vieillesse, et de la cruelle marche du temps planent sur tout le film mais sont particulièrement omniprésents dans cette scène, rythmée par l'ensorcelante musique de Tadeusz Nalepa avec Breakout.
"Kill It and Leave This Town" se finit avec amertume, plombant, mais garde en son sein une poésie désabusée, unique et vraie ; celle de ceux qui ont connu l'amour, la mort, la solitude et l'art.