Comédie sur le suicide, l'euthanasie et les suicidaires, Kill Me Please se déroule dans une clinique accompagnant vers la mort des volontaires (une telle pratique est autorisée au Suisse depuis 1942, l'est devenue ensuite dans certains états des USA et aux Pays-Bas ; elle l'a été six ans après la sortie du film au Canada). Le style est débraillé et acide mais aussi posé, avec une tendance à relier soigneusement les sketches plutôt qu'à construire un scénario profond et ciblé. Cette préférence pour une certaine horizontalité permet probablement de surnager, sans quoi la dépression l'aurait facilement emporté.
La séance tend donc souvent au ballet de suicidaires, avec des personnages forts et variés ; ces apparitions sont parfois criantes de vérité, comme celle de Bouli Lanners (acteur et réalisateur d'Eldorado) ou de l'emmerdeur demi sociopathe. Certains sont plus audacieux (ou limite), comme Simon Nora l'exalté tranquille au seuil de la mort, mais personne n'est plus bigger-than-life que ne l'est cette réalité parallèle. Ce monde-là est grotesque et paraît immédiatement accessible ; après tout c'est une humanité saturée, ses résidus à bout de masques et d'énergie qui sont réunis. À cette catastrophe objective le montage oppose un calme radical. Les émulsions violentes sont d'autant plus saillantes ; nullement creuses, mais leur bêtise est nue. Les réactions sont ambiguës face aux incidents à cause du projet commun : qu'est-ce qu'un incident ou un meurtre pour un troupeau de suicidaires ? Une occasion pour l'un, un générateur d'idées pour l'autre, un dérangement pour quelques égarés, une menace pour la plupart. Les contradictions de ceux qui ont renoncé, leurs mensonges ou déformations (André et sa partie de poker traumatisante), les remontées d'élans vitaux réchauffent l'ambiance.
Ils renvoient à une lutte éternelle dont même le mélancolique le plus glauque ne saurait se tirer ; c'est précisément tragi-comique et ça pourrait devenir jubilatoire – ça l'est de façon fugace et régulière dans ce film. Ce microcosme est vu avec une empathie rieuse et platement désespérée, sans compassion mais avec considération – mais pas trop, car à quoi bon se morfondre pour des gens qui ont à ce point clarifié les choses et les buts ? L'approche est souvent lourde, insistante, quelques sorties sont trop faciles ou banales, mais l'ensemble est pimpant et succulent. Le patron, Kruger (patronyme proche du boogeyman des Griffes de la Nuit), offre un excellent contrepoint avec sa rage contenue, sa patience forcée et sa bienveillance travaillée ; d'autres cas particuliers présentent un jeu qui pourra passer pour faux, ou sembler d'une ironie réjouissante. Il faut accepter que ces gens aient franchis des lignes, abattues des défenses dont la remise en question ne peut sembler 'sérieuse' ou recevable pour la plupart des vivants qui tâchent de l'être vraiment ou s'éteignent dans leur coin.
L'écriture est malicieuse, fournie, sans receler de trouvailles uniques. Le scénario divague positivement, quoique des détails restent en suspens au clap de fin. La faculté de rebondir trouve sa limite avec une dernière partie un peu soumise aux exigences de 'performances'. Le film cherche ostensiblement à s'installer dans la liste des OCNI glauques belges (convoquant le souvenir de C'est arrivé près de chez vous, servant Poelvoorde pour la mise en bouche). Il y parvient probablement, à la façon des comédies loufoques (telle qu'Atomik Circus) et non celle des feel good movie plus ou moins revendicatifs ou amoureux (et encore moins à celle branchée 'horreur' où Du Welz a tout raflé en un Calvaire). Il rejoint encore mieux la catégorie des farces 'surréalistes' (comprendre 'bien cru et tellement déviant') et odieuses, mi-fascinées mi-désinvoltes face à leurs personnages dramatiquement décalés (Bean doit être l'intro pour enfant) ; mais sur ce terrain (qu'on peut prendre aussi pour un créneau, dont Bernie ou Ex-Drummer seraient les mètres-étalon, Dikkenek un exemple beauf et median) il est trop éparpillé et joueur pour occuper une position forte.
https://zogarok.wordpress.com/2016/12/09/kill-me-please/