Très intéressante proposition de cinéma faite par Charles Burnett (auteur du très bizarre To Sleep with Anger avec Danny Glover aka sergent Murtaugh, en 1990) qui s'intéresse de manière ouvertement pseudo-documentaire à la vie dans un quartier noir pauvre de Los Angeles. Pour suivre le quotidien de Stan, un ouvrier travaillant dans un abattoir de moutons, il adopte une tonalité proche du réalisme social, dans un style qui a souvent été comparé au néoréalisme italien. Autrement dit, le fil rouge narratif se cantonnera à quelque chose de particulièrement ténu, les 80 minutes de Killer of Sheep étant essentiellement constituées de vignettes s'apparentant à de la non-fiction et très vaguement reliées entre elles. Un parti pris qui peut dérouter, de par l'impression de flottement qui perdurera du début à la fin, pour accompagner Stan dans toute sa mélancolie de travailleur pauvre.
Le titre du film pourrait bien sûr être relié à l'emploi du protagoniste, dont des fragments de la routine professionnelle nous parviennent régulièrement, insérés au milieu de scènes de la vie quotidienne. Il est père de famille, il n'arrive plus trop à communiquer avec sa femme (ce qui donnera une très belle scène de danse à deux, romantique et calme, au bord d'une fenêtre, laissant présager une envergure similaire à l'exceptionnel Un homme comme tant d'autres qui ne se révèlera malheureusement jamais), et malgré la pauvreté dans laquelle il évolue il résiste à l'appel de l'argent facile des petits larcins. Le style global de ce cinéma vraiment indépendant pourrait se rapporter au Cassavetes de Shadows et Faces, c'est-à-dire une forme de naturalisme un brin nonchalante, toujours dans l'expectative, la langueur, voire l'abandon. Un budget limité, des acteurs non-professionnels, tournage le weekend, un extrait musical dont il mettra 30 ans à obtenir les droits : l'adéquation entre les moyens mis en œuvre et le sujet force le respect, même si cela se fait au prix d'une monotonie parfois éprouvante.
Reste que Burnett observe Stan avec une certaine lucidité, de galères en bricoles avec quelques moments fugaces de bonheur, comme une lente dérive autodestructrice sans prise sur le cours de sa vie. Un regard sur la classe ouvrière noire assez rare, très différent (et en ce sens très complémentaire) de films comme Blue Collar, partagé entre la compassion et le réalisme rugueux. Comme un chaînon manquant du cinéma noir américain, loin du sérieux d'un Sidney Poitier et de la bisserie / blaxploitation d'un D'Urville Martin ou d'un Fred Williamson. En filmant de manière régulière Stan au milieu de son abattoir, dans son ennui flou et son indécision latente, comme prisonnier d'une frustration urbaine, Burnett pourrait bien avoir conféré à son titre un sens beaucoup moins littéral.
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