Killers fait partie de ces réponses qui auraient été formulées à l'encontre d'un cinéma coréen qui s'est affirmé à l'international grâce à ces thrillers coup de poing. Nettement moins connu chez nous, l'Indonésie ne doit son seul instant de popularité cinématographique qu'au jubilatoire diptyque The Raid, vite devenu une référence du film de combat. Dans le cas de Killers, c'est une plongée dans la psyché de deux serial-killers qui seront amenés à entrer en lien par le moyen moderne qui est... roulements de tambour... Internet. L'un est un psychopathe sanguinaire qui n'a aucune limite dans la violence, celle-ci trouvant ses origines dans son enfance. Loin du désaxé, il est un entrepreneur beau gosse qui se meut dans la société, cachant ses noirs desseins qu'il ne révèle qu'avec une caméra filmant le massacre de sa victime. Un beau réalisateur de snuff movie comme on les aime. L'autre est un Monsieur tout le monde, reporter désireux de faire éclater la vérité sur des cas de corruption. Hélas dans un pays gangréné par la malhonnêteté bureaucratique, ses tentatives se soldent par une répression impitoyable.
Notre journaliste est conscient de son impuissance, de sa carrure frêle et de l'échec de son mariage. Face aux vidéos barbares que Nomura publie sur la Toile, il est pris d'une incoercible fascination et lors d'un événement crucial à voir sa seconde nature se révéler. Lui aussi a soif d'audimat, d'audiences mais au lieu de prendre des innocents, il veut attaquer les grandes pontes intouchables malgré leurs vices. Dans deux sociétés parallèles, la violence sera utilisée soit sous le joug de la justice, soit vomie par des pulsions incontrôlables. Pourtant, cette même justice en vient à n'exercer sa véritable puissance que dans le sang dans un pays où toute éthique et déontologie sont aux abonnés absentes. Pour faire régner l'ordre, il faut éradiquer les nuisibles, même si cela doit aller jusqu'à leur ôter la vie. Avec un tel paradigme d'une noirceur affirmée, Killers a tout sur le papier pour nous plonger dans un intense moment de visionnage.
Loin de l'édulcoration des conventionnels thrillers occidentaux qui ne s'émancipent jamais d'une touche d'espoir, Killers fait de l'impitoyable sa marque de fabrique. Personne n'est à sauver. L'entourage est malsain et peut faire basculer les innocents dans une folie meurtrière. En filigrane se pose la question cruciale : Avons nous tous en nous les capacités d'un tueur ou est-ce le monde qui est criminogène ? L'influence des hommes envers l'un l'autre, interconnectés, peut-il amener à ce que le système sombre dans une perversité sans aucun retour en arrière ? Bayu en fera les frais par sa volonté d'exister, de faire table rase de sa vulnérabilité. Nomura se complait dans la spirale de rage qui l'anime et en fait sa raison d'être.
Killers est un film noir très malin qui se montre très magnanime dans sa fureur. Le niveau de violence est très élevé. Le sang coule, les craquements osseux nous décochent parfois un haut le coeur, certaines exécutions sont proches de l'infamie. Les Mo Brothers attardent leur caméra sur les supplications des victimes et jouent avec les arrières plans abritant soit la menace, soit la mort. Les apparitions de Nomura en prédateur sanguinaire ou le défilé de cadavres atrocement mutilés. Il y a un sens de la mise en scène, des mouvements de caméra, d'une beauté d'image qui force le respect. Chose qui est très rare dans le thriller sanglant où les considérations esthétiques sont au mieux facultatives chez bon nombre de cinéastes. A ceci s'ajoute une OST surprenante à base de Bach.
Jusque là tout va bien sauf que Killers passe de peu de rivaliser avec les plus grands. Certains passages nous font tiquer. On pense directement à la scène de fuite dans l'hôtel qui tend plus vers l'invraisemblable qu'autre chose. Bayu parvenant à s'extirper d'une armada d'une douzaine de policiers agglutinés sur lui, c'est plus ridicule qu'autre chose. Secundo, si les personnalités de nos deux détraqués sont creusées et peuvent compter sur un duo d'acteurs très convaincants, finalement nous aurions aimé une plus grande promiscuité mentale entre eux. Leur relation manque d'un peu de liant. On ne ressent pas suffisamment l'emprise de Nomura sur les actes de Bayu. Une plongée psychologique plus étayée aurait pu propulser Killers dans les très hautes strates. Il n'en reste qu'il est une surprise inattendue qui ravira à n'en point douter les laudateurs d'oeuvres en rouge et noir.