Killers, c'est un peu comme mes gâteaux au chocolat : tous les ingrédients y sont, la recette est suivie, mais ça donne quelque chose de catastrophique.


Killers a ainsi l'apparence d'un bon thriller : photographie léchée, scénario juste ce qu'il faut d'original, humour plutôt finement amené, violence à la coréenne... ah, non, on me rappelle à l'oreillette que bien que Killers m'ait été vendu comme un film violent, à part un marteau (officiellement nommé arme préférée des asiatiques) au début et une brique à la fin, on reste sur sa faim : après, ce n'est guère que de la violence suggérée, hors-champ. Bon, je ne suis pas contre un film où je ne suis pas en train de serrer les dents pour supporter l'image, mais dès que tu commences à taper dans le cinéma asiatique, tu peux être sûr que ton public a comme références J'ai rencontré le diable de Kim Jee-Woon ou la trilogie de la vengeance de Park Chan-Wook, qui mettent tout de suite la barre beaucoup plus haut... Alors c'est sûr qu'il ne vaut mieux pas tomber sur ça par hasard, mais en tout cas si, comme moi, vous vous attendiez à devoir vous accrocher, vous risquez d'être déçus.
Mais bon, au final, ce n'est qu'un détail. Le vrai problème avec le film, c'est son manque total de crédibilité. Et ça, en particulier du côté de notre "killer" indonésien. Il est ridicule de bout en bout. Ses réactions sont tellement excessives qu'elles en deviennent comiques, le gars passe son temps à hurler avec des yeux ronds, à s'imaginer des scènes de vengeance absolument pathétiques, et il est tellement grotesque qu'à la fin du film il me répugnait tout bonnement. J'ai l'impression d'être face à un dessin animé parodique dans la lignée d'Happy Tree Friends, qui s'intitulerait "Bayu, tueur malgré lui". Quant à son histoire, elle non plus ne tient pas la route une seule seconde. En disant cela, je pense tout particulièrement à une scène de course-poursuite dans un hôtel qui est sans doute la plus invraisemblable que j'ai eue à voir depuis un bout de temps, mais passons.
Du côté de notre "killer" japonais, ma foi, c'est un peu mieux, mais tout de même pas suffisant pour sauver les meubles. On lui a juste collé pèle-mêle toutes les caractéristiques du tueur froid et sanguinaire, avec l'histoire tragique de la mort de sa sœur pour justifier le personnage et lui donner un semblant d'humanité. Le problème, c'est qu'ils ont oublié le jaune d'œuf pour lier le tout. Le personnage semble juste plat et sans consistance, on dirait une photocopie. Une photocopie parce qu'évidemment, avec un tel background, on est obligé de faire un rapprochement avec le délicieux Lee Woo-Jin d'Old Boy... bon, je n'ai même pas besoin de dire à quel point il ne tient pas la comparaison, n'est-ce pas ? Quand à son histoire à lui, si elle est dans l'ensemble un poil - mais juste un - plus convaincante, elle est tellement cliché qu'elle en devient risible. Mêmes ses doutes et hésitations sont agaçants tant ils sont mal amenés, on a juste l'impression de voir les réalisateurs derrière cocher des cases : "ça, c'est fait...". Mais, au moins, notre japonais nous offre quelques moments drôles qui permettent de se remonter un peu le moral dans cet océan d'ennui.
Car c'est bien le problème de ce film : de bout en bout, on s'y ennuie. Tout est prévisible, le rythme est informe et les personnages sont bi-dimensionnels. Rien n'est apporté par rapport aux classiques du genre. Alors certes, sur la forme, c'est maîtrisé, si bien que cela me rendait presque triste, au début, d'aimer si peu ce film. Mais au final, entre maîtriser la forme et la rendre digne d'intérêt, là aussi il y a tout un monde. On est à des lieux de la maîtrise technique de Sympathy for Mr. Vengeance qui me ferait presque pleurer par la magnificence de ses plans... Dans l'arène moderne du cinéma asiatique, la photographie de Killers est finalement tout juste "au niveau", pas de quoi sauter au plafond.
Alors, non, malheureusement, ce n'est pas un film digne d'intérêt. Pour la simple et bonne raison qu'il a déjà été fait des dizaines de fois, et chaque fois mieux. L'idée originale, c'était la dualité, le parallèle : mais au final, ce ne sont que deux ersatz scénaristiques posés côte à côte, n'interagissant que très sporadiquement alors que le montage avait des opportunités fabuleuses pour les faire se renforcer et créer du rythme, un peu à la Magnolia (histoire de changer de registre). Au lieu de cela, le scénario s'égare dans des intrigues bancales et/ou avortées, si bien qu'on oublie très vite où il va.


Pas de rythme, pas de profondeur, pas de cohérence, pas de crédibilité. Un film, c'est plus qu'une série de cases à cocher, et malheureusement les Mo Brothers n'ont pas réussi à insuffler à leur Killers la moindre énergie. C'est pas évident de battre des blancs d'œufs en neige.

Shania_Wolf
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le 13 sept. 2014

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Lila Gaius

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