Scorsese est éternel. Film magistral que son Killer of the Flower Moon.
Une fresque historique dantesque, d'une richesse saisissante.
Film-continent de près de 3h30, aux mille et un motifs, mêlant puissance narrative, virtuosité visuelle, performances d'acteurs au firmament, profondeur émotionnelle. Une épopée cinématographique où Scorsese atteint, une fois encore, les sommets de son art. Quel talent !
Pour autant, en visionnant ce nouveau chef d'oeuvre du maître, une certitude s’impose : jamais, absolument jamais, l'Amérique ni Hollywood ne parviendront à produire LE film matriciel sur le génocide indien. Jamais, au grand jamais, l'Amérique ni Hollywood ne parviendront à produire LE film qui explorerait pleinement, sans compromis, droit dans les yeux, la douloureuse question du traitement infligé aux peuples autochtones et de leur extermination.
C'est évidemment le thème politique central de ce superbe Killers of the Flower Moon. C'est aussi le thème que Scorsese va soigneusement dissimuler sous les multiples strates d’une intrigue complexe, riche en personnages et en rebondissements. Scorsese, vraisemblablement très conscient de son sujet, opte pour une approche ondoyante, il choisit de ne pas mettre les pieds dans le plat, évitant de transformer son film en brûlot politique. Ainsi, Scorsese (en bon américain qu'il est)semble ne pas vouloir traiter frontalement cette épineuse question, préférant inviter le spectateur à lire entre les images, entre les lignes, entre les personnages, entre les intrigues.
Le projet Killers of the Flower Moon réunissait pourtant tous les éléments porteur de la grande promesse. Celle de voir enfin ce grand film nécessaire être réalisé. On liste :
- Scorsese aux commandes, cinéaste légendaire, fort d’une carrière monumentale et, à 80 ans, libéré de toute obligation de prouver quoi que ce soit ou de rendre des comptes. Une liberté artistique totale.
- L’adaptation d’un ouvrage non-fictionnel scrupuleusement documenté, relatant une série de meurtres sordides parmi les riches Osages, perpétrés après la découverte de guisements pétroliers sur leurs terres.
- Apple à la production. Studio prêt à investir 200 millions de dollars sans s’inquiéter de rentabiliser l’opération (qui ne sera d'ailleurs pas rencontré), le seul nom de Scorsese suffisant à justifier l’aventure. Une liberté financière et créative totale là aussi.
- 3h26
- Un casting de rêve
- The last but not de leat, une Amérique contemporaine en pleine introspection identitaire, confrontée à ses démons et remettant à l'agenda la question cruciale du rapport aux minorités et aux blessures de l'Histoire.
Tout semblait donc réuni pour que Scorsese, dans une sorte de baroud d'honneur, livre enfin ce grand film ultime qui briserait pour de bon le silence autour de ce chapitre sombre de l'histoire américaine.
Alors, bien sûr, le sujet est abordé. Il est présent, tissé dans l'intrigue et les différents récits. Il est là présent, derrière, en toile de fond.
Mais jamais, à mon grand regret, il ne prend la forme d’une trame politique explicite, d’une grille de lecture ou d’un support destiné à nourrir une réflexion collective.
Les thèmes sont subtilement dissimulés, enchâssés dans l’histoire, dans les histoires. Chaque personnage contenant, par exemple, une partie de la problématique du grand drame collectif que fût la disparition organisée des autochtones américains.
De Niro en vil patriarche avide de profit. DiCaprio en idiot utile et instigateur (un peu) malgré lui des meurtres. Lily Gladstone en Osage incapable de déceler l'embrouille, naïve, empêchée. Chacun sa part dans ce grand massacre.
Symboliquement, c’est Scorsese lui-même qui, à travers un caméo final, clôture ce grand récit d'un monologue implacable. Devant une salle comble, il lit la fin de l'histoire. Par ce simple geste, il se positionne tel un conteur, un narrateur retranscrivant un récit intime, une trame romanesque. Une sorte de prise de distance. Une carapace. Une protection. Scorsese qui raconte.
Par ce geste également, et c'est sans doute là une partie de la force de cette proposition, il réhabilite les trajectoires de vie, les destins et rétablit certaines vérités longtemps occultées (les informations figurant sur les tombes par exemple...). Les petites histoires face à la Grande Histoire. Mais jamais, non jamais, il ne parlera directement du massacre indien.
Ce monologue conclusif sonne donc comme la quintessence de la double lecture possible de son magistral Killers of the Flower Moon. En surface, l'histoire intime, le récit d'un fragment d'Amérique peuplé de personnages scorsesiens, d'armes, de voitures, de meurtres, de multiples histoires. En toile de fond, le traitement dissimulé d’un pan de la Grande Histoire américaine : le massacre de masse des Amérindiens, qui même ici ne pourra pas être regardé trop frontalement.
Ce monologue, enfin, qui nous donne envie de dire à Martin ô combien il aurait pu, il aurait dû se dévoiler pleinement et faire de son Killers of the Flower Moon un grand film politique. Un chef d'oeuvre ultime. Un boss de fin.
N'est pas Michael Cimino qui veut ;-)