Assez injustement méconnu, Killing Zoe est le premier film de Roger Avary, ancien partenaire d’écriture de Tarantino sur Pulp fiction, avant que leurs chemins ne se séparent à cause de quelques différends (Quentin voulant être le seul à détenir le crédit de scénariste sur son film ; Avary a également été vexé de ne pas être remercié quand le cinéaste a obtenu la Palme d’or).
Vu pour la première fois étant ado, certaines images et répliques de Killing Zoe m’avaient marqué jusqu’à aujourd’hui, notamment la séquence de baise entrecoupée d’extraits de Nosferatu sur une musique à la fois envoûtante et menaçante.
Une idée atypique mais à laquelle on peut trouver un sens quand on prend le film dans son ensemble et qu’on se renseigne sur les intentions de Roger Avary.
Le héros, Zed, un Américain perceur de coffres, se rend à Paris pour participer à un braquage organisé par un ami qu’il n’a pas vu depuis 11 ans. Tandis qu’il séjourne à l’hôtel, il reçoit une prostituée, Zoé ; prénom choisi car il signifie "vie" en Grec. Selon le réalisateur, par ses action, Zed "tue la vie".
Cette scène d’amour scelle le destin des deux personnages : elle les unit, Zoe voyant comme un signe le fait que leurs corps s’assemblent si bien, de telle sorte qu’elle a, pour une fois, réussi à avoir un orgasme avec un client. Mais la musique accompagnant cet acte charnel m’évoque personnellement une progression inéluctable vers le danger.
En dehors de quelques effets visuels efficaces qui représentent l’état des braqueurs sous l’influence de la drogue, la mise en scène d’Avary est généralement discrète, mais très pensée. A vrai dire, avant de lire le trivia d’IMDb, je n’avais pas remarqué que le découpage des plans sépare Zed et Zoe, jusqu’à ce qu’ils couchent ensemble, après quoi la caméra filme longuement le couple discutant au lit.
Le film est également découpé en trois parties, dominées par le blanc, le bleu, puis le rouge, les trois couleurs à la fois du drapeau français et américain. L’ordre des couleurs correspond à la progression de l’intrigue : on va de la couleur la plus douce à la plus intense, celle qui évoque à la fois la violence et la passion.
Killing Zoe est un film où la douceur et la cruauté s’entrechoquent ; la romance improbable avec une prostituée côtoie une histoire de casse particulièrement brutale.
Malgré son choix de carrière, Zed est un type plutôt calme et presque sympathique, dont le caractère tranche avec celui des autres criminels. Le spectateur a l’impression d’être dans la même position que lui, quand il se fait embarquer dans un univers sale et interlope, conscient de sombrer dans une merde noire mais incapable de reculer, par fidélité pour son vieil ami Eric, chef de bande clairement dangereux mais avec qui les liens remontent à l’enfance.
Le Français est incarné par un Jean-Hugues Anglade possédé par ce rôle de détraqué, réellement inquiétant car on le sent déséquilibré et imprévisible (et pour moi, l’imprévisibilité est sûrement ce qu’il y a de plus effrayant chez un personnage, et de plus représentatif de la folie).
Le rapport particulier d’amitié entre Zed et Eric permet de déséquilibrer régulièrement le spectateur, en contrebalançant les comportements inquiétants avec une dose d’humour noir (le gag du chat).
Tout comme Zed, tu soupçonnes que les choses vont dégénérer, mais tu préfères rester sourd aux signaux d’alarme et te raccrocher aux propos faussement rassurants, comme lorsque le héros s’inquiète de devoir se lancer dans un braquage au dernier moment, sans rien savoir de la banque, mais qu’on lui dit qu’il n’a qu’à suivre le plan établi pour lui. Il veut y croire, en sachant au fond qu’il a tort.
Le titre du film, par ailleurs, semble déterminer à l’avance une fin tragique pour la pauvre Zoé, et tu angoisses un peu en espérant que ce soit un titre trompeur.
Une fois arrivé au braquage de la banque, les camarades avec qui Zed faisait la fête la veille et qui cherchaient à sympathiser avec lui révèlent leur nature impitoyable, et même sadique pour Eric, qui dégomme les otages sans aucun remords et trouve encore l’occasion de rigoler.
Zed se retrouve dans une situation de plus en plus délicate, tiraillé entre son allégeance et sa morale.
Une réplique du début du film, qui m’avait plu par son côté un peu désabusé, finit par prendre un autre sens : "Sometimes, you just need the honesty and security of a whore", annonçant que le seul personnage à qui Zed peut faire confiance, c’est Zoé.
Bien que la plupart des meurtres se passent en hors-champ, c’est par la violence morale que Killing Zoe laisse un impact sur le spectateur.
Et tout au long du film, Avary crée une ambiance répugnante, de par le sang, la sueur qui colle à la peau et aux cheveux, les toilettes crades, l’appart bordélique, les évocations de sexe scato, …
Pour toutes ces raisons, Killing Zoe est un film qui avait laissé sa trace dans ma mémoire, et dont on se dit qu’on en fait peu, des comme ça.
J’aime aussi la façon dont Avary croque ses personnages, ajoutant un peu de relief et de réalisme au récit, par exemple avec ce garde qui s’excuse de faire son boulot ; une touche à la fois tragique et d’un humour grinçant.
Le cinéaste semble aussi aimer se moquer des caractéristiques propres à chaque nationalité, entre le client de la banque qui se croit immunisé car il est Américain, et le groom Français à l’accent particulièrement horrible.
Le principal reproche que j’aurais à faire au film concerne l’incompétence des policiers, qui devient vraiment absurde dans l’une des dernières séquences (où ils laissent bien le temps à un des braqueurs d’appuyer sur la détente avant d’agir).
On remarque qu’entre Tarantino et Avary, l’un des deux a dû reprendre des éléments à l’autre. Avant que leur carrière ne décolle, ils travaillaient dans le même vidéoclub et chacun alimentait les scénarios de l’autre en partageant des idées (d’anciens collègues de Quentin lui ont d’ailleurs reproché, après la sortie de Reservoir dogs, d’avoir repris dans son film des conversations qu’ils avaient eu).
La prostituée qui a le béguin pour un client, on trouvait déjà ça dans My best friend’s birthday puis True romance ; l’usage du chant amérindien et la blague scabreuse qui se termine par une fusillade, ça rappelle beaucoup Tueurs nés.
Et évidemment, il y a le prénom Zed, utilisé également dans Pulp fiction.
Mais je ne trouve pas ça gênant, juste amusant à noter.
La filmographie de Roger Avary reste à ce jour très peu fournie, c’est sûr qu’il n’a pas eu la même carrière que son ancien ami ; tout récemment il a sorti Lucky day, dont le titre se trouvait déjà dans une réplique de Killing Zoe, justement. Ce n’est pas un hasard : à lire le pitch qu’avait prévu Avary pour une suite abandonnée de son premier film, il a sûrement recyclé son scénario. D’ailleurs le héros de Lucky day est un perceur de coffres nommé Red, il y a un personnage féminin qui s’appelle Chloé, et le méchant est un français (joué par un Américain, comme d’hab’ à Hollywood).
Rien que pour ça, ça m’intrigue, même si la bande-annonce de Lucky day m’avait retiré l’envie de le voir.
EDIT 26/10/2019 : Je viens de le voir, c'est de la grosse merde.
PS : Environ 10 ans après avoir vu ce film pour la première fois, j’ai enfin compris le jeu de mot sur "Doctor suce ma teub". Vive la maturité.