En son temps, "Kinatay" engendra un débat assez animé entre partisans admiratifs de la "méthode Mendoza" de filmer (le film reçut d'ailleurs la récompense cannoise non négligeable du Prix de la Mise en Scène), soit une sorte de primitivisme pré-cinéma permettant de retrouver un sentiment d'immersion inédit dans les situations décrites, et contempteurs, en général dégoûtés par l'atroce et interminable scène de massacre d'une prostituée qui marque la damnation éternelle de Peping, spectateur passif qui voit aussi mourir son "intégrité", son innocence. Il est permis aujourd'hui de ne pas prendre parti entre ces deux positions, toutes deux justifiables, la première artistiquement, la seconde moralement : Brillante Mendoza met en effet en pratique dans "Kinatay" une manière audacieuse - et pourtant jamais "tape-à-l'œil", on est loin ici de la bêtise d'un Gaspar Noë par exemple - de nous immerger dans la réalité, mais cette réalité de la violence extrême qui règne quand la nuit tombe sur Manille n'est certainement pas un "spectacle" auquel on a la moindre envie d'assister. A la longue - et admirablement construite - descente aux enfers de Peping au fil d'un voyage accablant en mini-bus, durant lequel Brillante Mendoza nous fait réellement "vivre" une perte complète d'espoir et une montée étouffante de panique hébétée, on peut finalement préférer la première demi-heure du film, lumineuse et emballante, qui montre la VIE. [Critique écrite en 2015]