Février 1930. Merian C Cooper, réalisateur auréolé du succès de son film "Chang", marche dans les rues de l'imposante cité de New York. C'est en levant les yeux vers un avion survolant le New York Insurance Building que le cinéaste de 37 ans, surnommé déjà le "Lawrence d'Arabie du cinéma" par le New Yorker, a l'éclair de génie qui ancrera définitivement son nom dans la légende. " Je ne sais pas l'expliquer. J'ai immédiatement pensé à un gorille géant au sommet de ce gratte-ciel" déclarera-t-il.
Vérité ou autopromo? Le mystère reste entier autour de cette anecdote. Toujours est-il que cette manière de présenter son œuvre fait sens vis-à-vis du devenir du singe géant dans l'Imaginaire collectif. La Bête, réalisée en stop-motion (figurine filmée image par image), sera le fruit du labeur et des talents conjugués de Willie O'Brien et Marcel Delgado, donnant vie et corps à la vision de Cooper et Schoedsack (son associé de toujours). Son arrivée sur les écrans provoquera un tel choc que certains spectateurs en viendront à croire que les dinosaures existaient encore, et que l'équipe n'avaient fait que rapporter des images de Skull Island. Ainsi, Merian C Cooper avait-il, à la fois de manière consciente et inconsciente, compris le besoin fondamental de ses contemporains: croire qu'il existait encore une part de bestialité à l'état sauvage, une force de la Nature à même de faire trembler les fondements de la civilisation.
Bien des décennies plus tard, en 1987, un certain Peter Jackson commence à se faire remarquer avec un petit film, tourné avec un budget ridicule de 25 000 dollars, au fin fond de la Nouvelle Zélande. La comédie horrifique "Bad Taste" vaut au jeune cinéaste, inconnu à l'époque, de se faire un nom dans des festivals et des cercles de cinéphiles, avant d'être repéré progressivement par l'Industrie américaine. Après quelques succès d'estimes, notamment pour le drame "Heavenly Creature", le cinéaste et sa compagne Fran Walsh se lance à corps perdus, et avec le concours de Philippa Boyens, dans un projet pharaonique: l'adaptation sur grand écran du chef d'œuvre littéraire de J.R.R. Tolkien, réputé jusque là impossible à mettre en scène: "Le seigneur des anneaux". (NB: Ralph Bakshi s'y était déjà méchamment brûlé les doigts, malgré un succès publique acceptable). A la surprise générale, le réalisateur fait mouche auprès du publique et de la critique, soutenu farouchement par les producteurs de New Line et United Artist. Le succès de la trilogie vaudra à Jackson de repartir chez lui avec plus de 11 statuettes, dont l'Oscar de meilleur film pour "Le retour du roi". De quoi lancer un projet qui lui tenait vraiment à cœur... Pourquoi pas un remake du film qui lui a donné envie de devenir réalisateur?
Sorti en 2005, King-Kong se pose, plus encore que le reste de la filmographie de Peter Jackson, comme un film somme, à la fois une œuvre testamentaire et un rêve de gosse, hier impossible, réalité aujourd'hui. Un métrage boursoufflé de tout coté, mais auquel nul ne pourra rester entièrement insensible. Le réalisateur néo-Zélandais joue ici toutes ses cartes, mettant tout son savoir faire au service du Mythe. N'hésitant pas à renouer avec sa violence mais également avec sa démesure, allant prendre le risque de mettre à mal la suspension consentie de l'incrédulité du spectateur*. En effet, ce dernier doit oublier toute notion de réalisme et accepter de se laisser emmener dans un grand huit, mené par un cinéaste totalement débridé, faisant preuve d'un sens de la chorégraphie scénique et de la mise en scène proprement hallucinant. Avec un casting mené tambour battant par une Naomie Watts aussi radieuse qu'habitée, et un Jack Black incarnant un personnage surprenamment sombre, le film présente une belle brochette d'acteurs humains ayant chacun droit à un petit moment pour briller...
Et que dire de Kong, véritable merveille de CGI? C'est bien simple, lorsqu'il apparait, je ne vois pas le numérique, je ne vois pas une énième créature designée par une équipe d'infographiste de Weta Digital; je ne vois pas la performance capture d'Andy Serkis. Je vois Kong. Kong, le roi de Skull Island. Kong, la huitième merveille du monde. C'est bel et bien lui la star du film, sur laquelle repose sa réussite. Et quelle star! Jackson exploite sa créature sous tous les aspects et coutures, s'amusant comme un fou avec les possibilités du cinéma moderne. La créature met du temps à apparaître (pas loin de 40 minutes), le film prenant un malin plaisir à faire mariner le spectateur jusqu'à l'instant T. Une fois son héros dévoilé, le film prend une tournure nouvelle, chaque scène devant dépasser la précédente, en terme de virtuosité et de grandiose. Jusqu'à atteindre le final qu'on connait tous, mais qu'on n'a jamais ressenti aussi intensément. Un final d'une ampleur laissant le spectateur sans voix.
Alors oui, c'est poussif. D'accord, c'est presque pompeux, en terme de démesure et de sentiments larmoyants... Mais combien de metteurs en scène arrivent à ce résultat? Combien peuvent se vanter de parvenir à un dixième de la réussite de ce film, en terme d'effets spéciaux, de chorégraphie et d'intensité émotionnelle? King Kong version 2005, c'est le rêve d'un jeune garçon en recherche d'évasion et de sensations fortes. Un véritable joyaux dans la carrière d'un homme resté fidèle à lui-même. Chapeau bas, M. Jackson!
*suspension consentie de l'incrédulité: décrit l’opération mentale effectuée par le lecteur ou le spectateur d'une œuvre de fiction qui accepte, le temps de la consultation de l'œuvre, de mettre de côté son scepticisme.