Introduction
Avant de parler du film, il me semble important d'aborder en premier lieu le cas de son réalisateur: Ridley Scott. Ce dernier connaît un début de carrière flamboyant, suite à la réalisation de nombreuses publicités, le bonhomme dirige son premier long-métrage de cinéma en 1977. Ce premier film, Les Duellistes, charme la critique qui voit en Ridley Scott un cinéaste plus que prometteur. Le britannique confirme les attentes placées en lui deux ans plus tard avec un film de science-fiction révolutionnaire: Alien, le 8e passager. Non content d'avoir frappé un grand coup avec ce second film, Scott réitère l'exploit en 1982 avec le chef-d'œuvre de SF: Blade Runner. L'avenir semble radieux pour Ridley Scott qui, en seulement trois films, s'est imposé comme le nouveau maestro de la scène hollywoodienne. La suite de l'aventure s'avère plus compliquée pour le britannique, enchaînant les films en demie teinte tels que Legend, Traquée, Black Rain ou encore 1492: Christophe Colomb. Hormis le sursaut d'orgueil Thelma et Louise en 1991, Ridley Scott semble s'être perdu. C'est dans ce contexte quelque peu tumultueux pour le réalisateur que sort dans les salles obscures, Gladiator, le film qui allait remettre le père du xénomorphe sous le feu des projecteurs. La critique comme le public applaudissent à tout rompre ce que beaucoup voient comme le grand retour de Ridley Scott. Suite à ce triomphe, le réalisateur retourne à son rythme de croisière, enchaînant quasi coup sur coup les très dispensables Hannibal, Les Associés ou encore La Chute du faucon noir. Kingdom of Heaven sort dans ce contexte. Scott promet une grande fresque médiévale épique dans la veine de Braveheart ou du Seigneur des Anneaux, un film qui questionnerait le sens de ces véritables guerres de religions que furent les croisades en pénétrant au cœur des pensées et des questionnements des gens de l’époque pour mieux éclairer la notre et dresser un portrait intéressant de la nature humaine… Mais ça, c’est ce que l’oncle Scott aurait pu nous pondre s’il avait eu la curiosité ou l’intelligence de pisser un poil plus loin qu’à l’accoutumée.
Analyse
Mettons-nous d’accord sur un point, Kingdom of Heaven a de la gueule. Le film est ambitieux et cela se voit, il suinte du long-métrage une constante sensation de gigantisme, les costumes sont sublimes et pour ne rien gâcher la photographie de Dariusz Wolski est très belle et classieuse. Le film fait par moments preuve de belles idées de mise en scène ainsi que de mouvements de caméra travaillés. On notera également l’effort tout particulier porté à la reconstitution, le film étant d'ailleurs considéré par beaucoup comme l’une des productions hollywoodiennes les plus justes qui soit sur le plan historique. Pour finir, j’ajouterais que la bande originale de Harry Gregson-Williams finie de conférer au long-métrage sa couleur si particulière.
Mais voilà, sur sa forme déjà, le film rencontre quelques problèmes de taille. Car oui, qui dit Croisades dit affrontements, et c’est sur ce point précis que le film commence, pour ma part, à partir en vrille. Les fanatiques de Ridley Scott seront assurément en désaccord avec moi, mais voilà, c’est un fait, ce bon vieux Ridley ne sait pas filmer une bataille. En 1995, Braveheart de Mel Gibson révolutionne la manière de filmer et de mettre en scène les batailles au cinéma: découpage dynamique, caméra au cœur de l'action, au plus proche des personnages, en résulte des séquences réalistes, viscérales et surtout immersives, violentes, certes, mais incroyablement virtuoses et rythmées, quasi musicales. Ainsi, pour tout réalisateur aux envies de fresques guerrières, Braveheart se pose tout naturellement comme l'exemple à suivre. Un exemple que tentera vainement de suivre Ridley Scott. Car parce que Scott n'est pas Gibson, les combats de Kingdom of Heaven n'ont rien à voir avec ceux de Braveheart, quand Gibson savait penser sa mise en scène, savait ce qu'il voulait montrer et comment le montrer, Scott se contente de reprendre à son compte un montage rapide, trop d'ailleurs, participant à rendre les scènes concernées difficilement lisibles, ajoutez à cela touche spéciale tonton Scott consistant à conférer à ces combats un rendu quasi documentaire, caméra à l'épaule, afin de renforcer l'immersion, du moins c'était le but recherché. Car loin de renforcer l'immersion du spectateur, ces plans, constamment tremblants, ajoutent au manque de lisibilité de l'ensemble. Cette satanée caméra portée fera néanmoins un paquet d’émules, car si Scott y avait déjà eu recours, avec légèrement plus de succès je l’avoue, dans son Gladiator (bien que l'on ne puisse pas vraiment considérer la bataille d'ouverture comme une réussite), et qu’il réitérera l’expérience sur les très dispensables Robin des bois, Exodus ou plus récemment Le Dernier Duel, forcé de constater que des réalisateur aussi talentueux que Wolfgang Petersen dans Troie ou Oliver Stone dans Alexandre se laisseront aller au même gloubi-boulga artistique, Oliver Stone décrochant pour ma part la palme de la bataille la plus bordélique et vomitive qu’il m’ait été donné de voir. Ainsi, les combats de Kingdom of Heaven montrent très vite leurs limites : surdécoupage, overdose de caméra portée, surenchère de plans inutiles, faux raccords, bref, il semble évident que Scott ne sait pas quoi filmer ni comment le filmer. Très logiquement, la totalité des affrontements du film deviennent oubliables, oubliables car techniquement à la ramasse certes, mais également, et c’est ce qui me semble le plus consternant pour une fresque historique "épique" , par manque d’enjeux.
Car si le film s’avère quasi irréprochable sur sa forme (si l'on consent à faire abstraction des scènes de batailles), son propos de fond ainsi que la façon quasi dogmatique avec laquelle Scott nous l'assène, détruit absolument tout. En effet, le récit se déroulant au XIIe siècle, il semble évident d’attendre du réalisateur qu’il nous retranscrive la mentalité de l’époque, chose que ne fait pas Ridley Scott qui accouche d’un film bourré à ras bord d’anachronismes. Car oui, rappelons que Kingdom of Heaven prend place en plein Moyen-Âge et plus précisément dans le contexte de la troisième croisade, période durant laquelle, faut-il le rappeler, le christianisme est la religion dominante dans l’Europe toute entière, une époque où Dieu est tout et où tout est appréhendé à travers le prisme de la religion, une époque où le christianisme régit la vie de chacun, une époque où, par conséquent, croire en Dieu n’est pas une option mais une évidence, la science n’en est qu’à ses balbutiements, la vie est dure, courte, la mort est omniprésente, ainsi, la croyance en une vie après la mort est rassurante et le Salut de l'âme devient l’une des principales préoccupations des gens de l’époque. Comprendre cela ne semble guère difficile, sauf pour Ridley Scott visiblement, qui sous prétexte de vouloir transmettre son message de paix, crée des personnages porteurs de raisonnements d’un anachronisme sidérant, à tel point que l’entièreté des personnages positifs du film semblent tout droit sortis de la société bienpensante du XXIe siècle. Au final Scott ignore complètement comment transmettre son message en dehors de personnages clamant haut et fort que Dieu n’existe pas (car s’il existait il ne tolèrerait de telles élans de barbarie, très intelligent encore une fois monsieur Scott) et que la religion mène aux pires exactions. Outre ce message anachronique, bas du front et profondément bête, ce traitement des personnages pose un problème de taille, celui de l’implication du spectateur. Le meilleur exemple de ceci reste probablement le siège de Jérusalem, pensé pour être LA scène marquante du film. Outre une réalisation globalement aux fraises, cette scène ne peut tout simplement pas être marquante car le personnage principal lui-même, interprété par le décidément toujours plus mauvais et ectoplasmique Orlando Bloom, ne désir pas particulièrement conserver la ville, allant même jusqu’à l’offrir sans le moindre remord à Saladin en fin de film, mais nous y reviendrons. Il semble évident, suite au succès triomphal du Seigneur des Anneaux, que cette bataille devait être le pendant médiéval de la bataille du gouffre de Helm, mais là où Jackson avait, tout au long du film, créer de véritables enjeux autour de cette bataille, en se concentrant certes sur son importance dans la guerre pour la Terre du Milieu, mais tout autant sur ses civils apeurés et ses enfants enrôlés de force dans cette bataille aux enjeux trop grands pour eux, Ridley Scott ne fait rien de tout ça, pas d’enjeux donc pas de tension donc pas d’implication possible de la part du spectateur. La bataille de Jérusalem, qui aurait dû être le cœur émotionnel du film, devient donc, et c’est bien dommage, une énième scène de plus nous séparant cruellement du générique de fin. Mais si vous pensiez en avoir fini avec le ridicule, sachez que vous n'avez encore rien vu, le comble de la bêtise intervenant lors du discours de Balian à la garnison de Jérusalem, ce dernier prônant avec la lourdeur et la subtilité d’un éléphant mort la paix entre les religions, clamant que Jérusalem n’appartient à pas spécialement aux chrétiens ni même aux musulmans, mais à tout le monde, le tout avant d’offrir la ville à Saladin (ville pour la défense de laquelle des milliers de croisés ont donnés leurs vies) et d’être, pour ce geste, porté en triomphe par les soldats de la garnison. Nageant en pleine délire anachronique, se pensant intelligent, jouant avec son caca, parce que vous comprenez personne n’a encore été foutu de lui d’arrêter, Ridley Scott nous confirme, avec ce climax, qu’il n’a pas compris l’époque qu’il était en train de traiter, encore une fois, feu le réalisateur de Blade Runner nous pond une réflexion d’un conformisme éculé digne d’un devoir de philosophie de collégien, incapable d’appréhender les choses autrement qu’à travers un œil actuel, jugeant le passé à l’aune de nos connaissances et de nos idéologies, ce qui témoigne d’un cruel déficit d’intelligence. Car a contrario des personnages positifs du film, forcé de constater que les seuls personnages porteurs de raisonnements en adéquation avec la période traitée, à savoir les templiers, deviennent de véritables caricatures, des personnages sans nuances, des barbares assoiffés de sang musulman, beuglant à tout bout de champs et à la moindre contrariété cette phrase d’une subtilité toute Scottienne: "C’est la volonté de Dieu !". Il suinte du film un profond mépris de ces personnages, Scott ne les aime pas et ça se sent.
Pour finir, précisons que Kingdom of Heaven est également un film incroyablement verbeux, Ridley Scott nous explique tout à travers des dialogues patauds, naïfs, anachroniques et idiots au lieu de faire passer son message par la mise en scène. A la manière du chef-d'œuvre fictif Crusade de Paul Verhoeven, Scott aurait pu nous faire comprendre subtilement son point de vue en nous offrant une fresque purement médiévale dans son idéologie, qui questionnerait via la mise en scène les dérives de l'extrémisme religieux. Mais c'était probablement trop demandé à un Ridley Scott visiblement plus intéressé par le martelage dogmatique d'une idéologie bienpensante que par la création cinématographique.
Conclusion
Ainsi, avec Kingdom of Heaven, Ridley Scott fait encore une fois montre de son abyssale bêtise. Le film souffre d’une d’une profonde dichotomie entre sa forme, se voulant très réaliste et fidèle à la période traitée et l’anachronisme total de son discours. Entre croisés athées, templiers fanatiques et musulmans tolérants, le film devient l’incarnation de la malhonnêteté historique au cinéma. Kingdom of Heaven demeure pour ma part l’une des plus grandes frustrations de ma vie, entre les mains d’un homme intelligent, d’un Peter Jackson, d’un Mel Gibson ou d’un Paul Verhoeven, le projet aurait pu accoucher de quelque chose de profondément intéressant, questionnant tout en restant divertissant. Au lieu de ça, Ridley Scott nous propose une fresque dont il détruit lui-même les enjeux, des combats mal filmés, le tout accompagné d’un énorme crachat à la gueule des chrétiens et surtout d’un message pseudo philosophique de bac à sable. Et même si sa direction artistique, sa musique et ses costumes demeurent de grande qualité, il en aurait fallu plus pour espérer sauver Kingdom of Heaven.