En soi, pas de quoi s'exciter. Un jeune rebelle qui file droit suite à un entraînement qui le révèle à lui-même, la formule est connue. Et efficace : sentir un nouveau pouvoir germer chez un personnage, partager son exaltation, c'est ce que proposent les films de super-héros lorsqu'ils s'attaquent à leurs origines. Ici, la confrontation entre prolos et gentlemen tourne court, la fable sociale prenant racine ailleurs que dans le précédent effort de Matthew Vaughn, X-Men : Firts Class.
Dans cet opus qui remontait aux sources de la saga mutante, le contexte façonnait l'intrigue, soit un cadre politique d'ampleur internationale (la Shoah, la crise des missiles de 62...) où s'affrontaient deux antagonistes à l'amitié fragile. Dans Kingsman, c'est l'intrigue elle-même qui façonne le contexte. La nuance, sans danger en termes de production, est de taille à l'écran. Contemporaine, l'histoire ne s'embarrasse pas d'uchronie : elle est mue par l'excentricité de ses protagonistes, en premier lieu un Sam Jackson dont les motivations bienveillantes ont de quoi surprendre...
Ne séparant jamais la phase d'entraînement de ses répercussions directes, Kingsman peine à trouver ses marques, trébuche sur quelques longueurs et patine pendant 40 mn. Mais il amuse, séduit. Et cherche le ton juste, l'équilibre qui lui permettra de décoller. "Quelque part au Moyen-Orient" : c'est pour le moins honteux comme repère géographique, surtout pour une scène d'intro. Merde, encore un film-gendarme-du-monde dont il va falloir gober les clichés pour apprécier le spectacle ?
Non, car Vaughn expédie les formalités, explose d'entrée son décor et assume le prétexte qui lui sert de point de départ, les débris lui servant même à inscrire le générique. A ce niveau, on se croirait presque dans Team America ! Bonne pioche : si Kingsman est savoureux, c'est bien parce qu'il ne fait pas de cadeau. Si on veut s'amuser de sa désinvolture, il faut swinger entre les mains tranchées, les égorgements, les genoux fracassés et les coups de hache prodigués par un Colin Firth heureux de tailler dans le vif de sa carrière bien rangée !
Certes, les effets les plus criards de Kingsman prendront vite un coup dans l'aile mais le plaisir que procure l'oeuvre, lui, a des chances de perdurer grâce à la jubilation de Vaughn. Au passage, l'homme met au tapis un concurrent au pitch similaire, lui aussi adaptation d'un comics de Mark Millar : Wanted : choisi ton destin. Millar qui, rappelons-le, est également géniteur des comics Kick-Ass portés à l'écran en 2010 par le même Vaughn. Ces deux-là se sont trouvés, et les écarts sanglants qu'ils s'octroient galvanisent l'intégralité du long-métrage.
Fan de dérision et soucieux d'efficacité, Vaughn boucle d'ailleurs Kingsman sans épilogue, si ce n'est en souriant à l'idée d'une sodomie victorieuse ! Preuve de plus que le bonhomme, s'il a conscience d'oeuvrer dans le fun et le second degré, fait son métier avec respect afin d'offrir un gros défouloir irrévérencieux. Contrairement au sympatoche Les Gardiens de la Galaxie, vendu comme un électron libre, Vaughn offre ainsi une VRAIE alternative décomplexée à la politesse habituelle des grosses productions.
Cerise sur le gâteau, le cinéaste affine les paramètres de mise en scène inaugurés sur son génial Kick-Ass. Au massacre du hangar en plan-séquence commis par Big Daddy/Nicolas Cage, Kingsman répond par un morceau de bravoure trois fois plus long, rixe hallucinante en pleine réunion d'intégristes où le Free Bird de Lynyrd Skynyrd donne le La des coups portés ! Les deux scènes sont d'ailleurs observées par des personnages extérieurs, rendant la prouesse forcément plus jouissive.
Ailleurs, Vaughn profite à nouveau des mini-caméras embarquées sur ses espions pour se payer une poignée de vues subjectives déjà éprouvées sur Kick-Ass. Si l'effet menait jadis à un climax émotionnel furieux, il sert ici à dynamiser des gunfights et acrobaties déjà sacrément pêchues, tutoyant des sensations proches d'un très bon FPS. Preuve supplémentaire que l'homme sait ce qu'il souhaite obtenir comme réaction du public et agit en conséquence, quitte à repenser ses plans-signature.
Or, c'est très exactement de ça dont manque trop souvent le pop-corn : de gens qui le fabriquent avec amour.