Ayant perdu un de ses meilleurs agents, le Kingsman, le plus secret des services secrets, demande aux membres de son élite de présenter chacun un candidat, sachant qu’un seul sera choisi. Harry Hart (Colin Firth) porte son choix sur Gary Unwin (Taron Egerton), jeune délinquant au fort potentiel… Mais le temps presse d’autant plus que le milliardaire Richmond Valentine (Samuel L. Jackson) a mis au point une technologie révolutionnaire qui vise à renouveler le genre humain tout en préservant la planète. Ce qui consiste à faire disparaître l’humanité de la surface de la Terre, en en gardant juste une élite privilégiée…
Il est des films qui deviennent cultes au fil des ans, et d’autres qui le deviennent instantanément. Au vu de son accueil et de la réputation immédiate qu’il s’est forgée, Kingsman : Services secrets fait indéniablement partie de la deuxième catégorie. Il faut dire que Matthew Vaughn, réalisateur dont l’exigence ne s’est jamais démentie au fil de sa filmographie, nous propose ici l’œuvre de sa vie. S’il nous avait déjà offert quelques pépites (Stardust, X-Men : le commencement), il franchit ici un pas de géant sur la route qui le rapproche de film en film du chef-d’œuvre.
En effet, Kingsman, c’est avant tout un divertissement total. Sur le plan formel, Matthew Vaughn y montre plus que jamais ses hallucinantes capacités de créateur d’images et de narrateur, grâce à un suspense des plus habilement construits. La caméra virevoltante de George Richmond épouse le scénario à un point exceptionnel, faisant partie intégrante de la narration, que ce soit dans les époustouflantes scènes d’action (la célébrissime scène de l’église, bien sûr, mais aussi les séquences dans le repère de Valentine) ou dans les moments plus intimistes. De plus, elle met parfaitement en valeur les prestations géniales d’un casting qui s’en donne pleinement à cœur joie, à commencer par un Colin Firth qui envoie immédiatement Daniel Craig à la maison de retraite et un Samuel Jackson qui éclipse tous les rôles qu’il a endossé jusqu’à maintenant, sans oublier le nouveau venu Taron Egerton qui montre qu’il a déjà toutes les qualités d’un grand acteur.
Un des plus beaux tours de force revient toutefois au compositeur Henry Jackman, qui réussit à créer un thème original emblématique, tant chaque note y est parfaitement à sa place, donnant à la saga une identité aussi forte que celle de son réalisateur.
Ce dernier ne se contente d’ailleurs pas d’étaler son savoir-faire technique pendant deux heures, et c’est là que Kingsman se révèle particulièrement brillant : sous ses dehors de comédie rebelle, le film de Vaughn est bien plus qu’un divertissement, il est un pamphlet.
Pamphlet social, tout d’abord, dans lequel Vaughn met à bas aussi bien un discours de lutte des classes dépassé, auquel il donne un beau contre-exemple, s’appuyant sur une belle citation d’Hemingway (« Il n'y a rien de noble à être supérieur aux autres. La vraie noblesse consiste à être supérieur à celui qu'on était auparavant ») que les discours anarcho-écolos qui envahissent la sphère pseudo-intellectuelle de leur idéologie néfaste et dangereuse.
Pamphlet sur le cinéma également, tant le réalisateur britannique se plaît à convoquer et citer de nombreuses influences pour mettre en exergue un cinéma traditionnel qui a fait ses preuves et un cinéma contemporain en pleine déroute.
La confrontation entre Samuel Jackson, icône des années 1990, et Colin Firth, visage d’un cinéma héritier d’une longue tradition et lointain successeur d’Alec Guinness, se montre d’une richesse incommensurable : exaltation des valeurs anciennes, regret d’un paradis cinématographique perdu et de ses codes immuables, rejet d’un art qui s’est égaré… Matthew Vaughn nous livre une des plus belles déclarations d’amour au cinéma qu’il nous ait été donné de voir, autant qu’un constat désabusé sur le cinéma actuel.
Et le constat est parfaitement mis en image : aujourd'hui, la violence est gratuite, elle est partout dans notre société de consommation (les portables s’en font ici littéralement les vecteurs), et contribue à détruire la société.
Mais fort du paradoxe britannique qui a forgé l’identité de ce peuple insaisissable, Vaughn s’amuse à réutiliser les codes de ce qu’il dénonce pour mieux les mettre à bas, en les mariant aux codes d’un cinéma d’espionnage héritier d’une longue tradition. Ne basculant jamais dans la parodie pure et simple, Kingsman reste toujours dans le domaine du pastiche, notamment par son magnifique et constant hommage à James Bond.
Les spectateurs insensibles au second degré ne pourront néanmoins goûter un spectacle qui se moque constamment de lui-même pour nous rappeler que oui, le cinéma, c’était mieux avant. Ce faisant, le réalisateur britannique vit néanmoins avec son temps en nous offrant justement une nouvelle perle, qui vient illuminer un paysage cinématographique en déshérence.
Héritier d’une grande tradition comme initiateur d’un nouveau type de cinéma, Kingsman se montre un point de jonction capital entre deux périodes et deux styles apparemment inconciliables, miracle improbable que seul un réalisateur aussi génial et aussi britannique que Vaughn pouvait réussir.
Ainsi, Matthew Vaughn écrit là une page de l'histoire du cinéma, et l'avenir nous dira encore si c'en était une grande page ou non. Quoiqu'il en soit, le constat est sans appel : c'est une page qui a merveilleusement commencé...