Kiss Me Kiss Me Kiss Me
Kiss Me Kiss Me Kiss Me

Film DTV (direct-to-video) de Kazunari Hônoki (2015)

Actif depuis le début de la décennie au sein du mystérieux collectif Kindan No Tasūketsu dont il est le fondateur et la tête pensante, Kazunari HŌNOKI n’en est pas à son coup d’essai dans le monde de l’art et de l’étrange avec ce premier film.


Collectif musical et artistique à géométrie variable et aux contours troubles, le groupe Kindan No Tasūketsu est aussi inconnu qu’il est prolifique. Avec quatre albums, six EP et des singles indépendants se comptant par dizaine en à peine quelques années d’existence, le mystérieux collectif s’inscrit également comme une véritable plaque tournante de la scène underground japonaise, réunissant à ses côtés un fourmillement de groupe indépendants tous plus originaux les uns que les autres.


En tant que réalisateur, HŌNOKI jouit déjà d’un CV pour le moins fourni derrière la caméra puisqu’il réalise la quasi-totalité des clips du groupe, apportant ainsi au projet Kindan No Tasūketsu une identité visuelle affirmée qui se décline au travers de leurs nombreuses vidéos. Photographie épurée et stylisée, couleurs saturées, filtres psychédéliques, omniprésence du numérique ; dans les clips de Kindan No Tasūketsu, les images absurdes et poétiques côtoient un style fait-maison assumé et revendiqué par l’utilisation d’effets vidéos dépassés voire complètement kitschs. Esthétisés à l’extrême, le sens de ces vidéos reste cependant cryptique, et on ne peut être qu’attiré ou révulsé par le style visuel de Kindan No Tasūketsu selon si l’on est sensible ou non à la poésie des images de Kazunari HŌNOKI.


À travers des images tantôt d’une simplicité presque banale tantôt d’une absurdité des plus loufoque, mais toujours empreintes d’une certaine mélancolie, Kazunari HŌNOKI nous parle de rapports humains, de communication, d’amour, de désir et sublime une génération désenchantée qui se forge dans l’onirisme surréaliste et numérique d’un "immense monde de son" et de lumière pour tromper l’ennui et la solitude.


Avec son premier long-métrage, Kiss Me, Kiss Me, Kiss Me, Kazunari HŌNOKI se replonge dans ses thématiques favorites pour nous proposer un film d’ambiance extrêmement contemplatif que les mauvaises langues n’hésiteront pas à qualifier de "clip d’une heure vingt". Le choix qui peut cependant sembler surprenant pour ce premier long-métrage est celui de réaliser un film érotique, même si par exemple les clips de Great World Of Sound, Ring A Bell ou encore la version x-rated de Tonight, Tonight laissaient déjà préfigurer cette orientation artistique.


LE MAL DU SIÈCLE


Sous couvert de nous proposer un film ouvertement expérimental, Kiss Me, Kiss Me, Kiss Me est malgré tout riche d’un scénario certes simple, mais laissant une grande place à l’interprétation et à l’imagination du spectateur, évitant ainsi de tomber dans le piège du fameux "clip d’une heure vingt".


Nous sommes donc invités à suivre deux jeunes amantes, Eri et Mihono, au hasard d’une journée d’été. Après avoir chacune ingéré un mystérieux cachet en forme de cœur obtenu par Mihono au cours d’un étrange marché avec une femme vivant dans la forêt, la tranquillité des deux jeunes femmes est troublée par des visions tantôt oniriques, tantôt cauchemardesques.


Le film s’attache à perdre son spectateur, le laissant dans le même désarroi qu’Eri et Mihono : horrifié et fasciné par ce monde surréaliste à la fois superbe et terrifiant. Alors que les deux amantes s’enfoncent peu à peu dans ces illusions psychédéliques, il devient rapidement difficile pour le spectateur de faire la part des choses entre ce qui est réel et ce qui est halluciné.


La deuxième partie du film nous enfonce toujours plus dans ce délire fiévreux, au point de ne plus en sortir. Les scènes s’enchaînent, de plus en plus angoissantes et hypnotiques. Les personnages viennent et vont, à chaque fois transformés, et on ne sait plus à quel personnage se vouer pour mettre un terme à ce cauchemar, qui nous emmènera jusqu’à une ultime scène tragique et salvatrice, entre rêve et réalité.


À l’instar des T-shirts arborés par Eri et Mihono dans le film – respectivement aux noms des groupes The Smith et The CureKazunari HŌNOKI propose dans son film une vision de l’amour empreinte de romantisme ; passionné, mélancolique et forcément intimement lié à la mort. En reprenant ainsi les codes du romantisme, HŌNOKI dépoussière le genre et l’inscrit dans notre époque en y apposant nos propres angoisses post-modernes. Ainsi, même au sein de notre monde moderne et connecté, le mal du siècle qui nous anime n’est guère différent de celui des romanciers du XIXe siècle et le tragique destin de Hernani dans la pièce éponyme de Victor HUGO – pièce célèbre pour avoir consacré le style du romantisme – n’est guère différent de celui de nos deux héroïnes. Les longs échanges épistolaires chers aux romantiques se transforment ainsi en un long plan fixe à travers l’œil morne d’une webcam, la mort est devenue une étrange Faucheuse déguisée en lapin rose, qui ne manque pas de rappeler le Tokyo X Erotica de Takahisa ZEZE, et comme les héros d’alors, les deux amantes ne trouvent la beauté que dans l’absurde et le salut que dans la mort.


BEHIND THE SCENES


Kiss Me, Kiss Me, Kiss Me est indéniablement marqué de la patte de Kazunari HŌNOKI. La photographie est soignée et le réalisateur n’hésite pas à user d’effets vidéos qui feraient pâlir d’effroi n’importe quel monteur professionnel. Cependant, la véritable force du cinéma de Kazunari HŌNOKI est cette faculté à utiliser tous les interdits du cinéma contemporain pour les ériger en symboles du cinéma fait-maison, en appelant ainsi à tous les réalisateurs amateurs afin de leur montrer que les codes sont faits pour être transgressés.


Si les effets psychédéliques de la première partie surprennent par leur caractère soudain et brusque, la seconde partie nous transporte complètement dans ce monde hypnotique au côté des héroïnes. Et c’est dans cette seconde partie que toute la poésie des images de Kazunari HŌNOKI s’exprime à nouveau, notamment à travers une fin sublime et enivrante.


Avec Kiss Me, Kiss Me, Kiss Me, c’est un véritable catalogue d’influences et de références que propose Kazunari HŌNOKI ; à commencer par le Kiss d’Andy WARHOL, qui a indubitablement inspiré le projet, HŌNOKI ne s’en cachant pas. De même, difficile de ne pas remarquer la fascination du réalisateur pour le travail de David LYNCH tant Kiss Me, Kiss Me, Kiss Me restitue les codes et les ambiances propres au gourou du surréalisme moderne. Ainsi, l’étrange antichambre où sont réunis les personnages au début de la deuxième partie est un hommage à peine dissimulé à la Loge Noire de la série Twin Peaks, et l’étrange théâtre où se déroule le point culminant de l’odyssée cauchemardesque des héroïnes n’est pas sans rappeler le mystérieux cinéma où erre Laura DERN dans le film Inland Empire.


La musique originale du film, composée par Kindan No Tasūketsu, s’inscrit également dans cette même veine de restitution d’influences. Étonnamment, la bande originale ne contient que peu de chansons, mais beaucoup d’ambiances qui vont lorgner du côté d’Angelo BADALAMENTI (notamment compositeur de la musique de Twin Peaks), à des lieues du son habituel de Kindan No Tasūketsu.


Bien qu’estampillé "film érotique", cela n’empêche pas Kiss Me, Kiss Me, Kiss Me de nous proposer le haut du panier en la matière. Jamais vulgaire ni voyeur, HŌNOKI sait filmer et sublimer les femmes à travers sa caméra, comme il le fait déjà au sein de Kindan No Tasūketsu. Le véritable tour de force de Kazunari HŌNOKI avec ce premier film est de s’être entouré d’un casting entièrement composé d’actrices de AV (Adult Video) pour ne finalement jamais les dénuder, proposant ainsi un contre-pied osé à une grande partie du marché de la vidéo pour adulte japonais.


Sorti directement en DVD et distribué au rayon AV des magasins japonais malgré une qualité artistique nettement supérieure à la plupart des titres peuplant le monde de la vidéo pour adulte, Kiss Me, Kiss Me, Kiss Me est également disponible en édition spéciale, accompagné du CD de la bande originale et d’un très beau photobook réalisé par la photographe de plateau du film, Yūko KAWASHIMA, notamment connue pour son travail en tant que photographe pour le groupe d’idols Nogizaka46.


Avec Kiss Me, Kiss Me, Kiss Me, Kazunari HŌNOKI réussit le pari d’adapter son style si particulier au format long-métrage. Même s’il est certain que pour de nombreux spectateurs, le visionnage du film sera une expérience fortement désagréable, il ne fait nul doute que celui-ci saura parler à ceux qui se montreront enclins à entrer dans l’univers psychédélique et romantique du réalisateur et que Kiss Me, Kiss Me, Kiss Me sera pour tous les spectateurs une expérience hors du commun.


Retrouvez cette critique sur Journal Du Japon

mxmxm
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Sur l'étagère [Films], Les meilleurs films japonais, Les films aux meilleures bandes originales, Les films vus en 2018 et Les meilleurs films érotiques

Créée

le 10 nov. 2015

Critique lue 799 fois

2 j'aime

mxmxm

Écrit par

Critique lue 799 fois

2

Du même critique

Tokyo décadence
mxmxm
8

Errances sexuelles d’une ville sans espoir

Si Ryū MURAKAMI est davantage reconnu comme auteur qu’en tant que cinéaste – certains iront même jusqu’à dire qu’il vaut mieux ne pas trop le considérer comme un réalisateur tant ses films sont...

le 31 juil. 2016

7 j'aime

4

Les Délices de Tokyo
mxmxm
6

Critique de Les Délices de Tokyo par mxmxm

Un an après le triomphe critique de Still The Water, Naomi KAWASE est de retour au Festival de Cannes avec son nouveau film : An. An évolue dans la lignée de Still The Water et s’éloigne encore un...

le 15 juin 2015

7 j'aime

Vers l'autre rive
mxmxm
8

Critique de Vers l'autre rive par mxmxm

Après son dernier long-métrage – "Real" –, un projet avorté – "1905" –, un court-métrage / clip purement alimentaire pour le compte de la pop-star et désormais actrice Atsuko MAEDA – l’horripilant...

le 15 juin 2015

7 j'aime

2