Le Peter Pan de Romero
Présenté aux Utopiales comme une rareté, Knightriders fleure bon le moment privilégié où la chaleur n’a d’égal que le goût assurément bon des spectateurs présents. Et quel moment mes aïeux ...
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le 25 nov. 2012
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A chaque tentative de s'extraire du carcan de la chair putride et zombifiée, Romero se prend plante les dents de devant dans le sol. Que ce soit avec l'intrigant Season of the Witch, ou le très bon anti film de vampire Martin, le public de Romero ne semble pas aimer quand ce dernier tente d'explorer d'autres horizons.
Pourtant le réalisateur, authentique victime de l'amalgame entre ses films de zombies et l'avalanche italienne qui suivit et acheva de noyer le propos originel de l'auteur en le vulgarisant, n'est pas un amateur de bisseries (genre que j'affectionne particulièrement). Ses films de zombies, particulièrement percutants et bien rythmés, sont toujours habités par un véritable propos assez fin, si l'on gratte un peu sous la couche d'hémoglobine, qui dépasse le coté simplement contestataire de surface qui a été repris à l'unisson par tous les plagiaires et les saint patrons de l'exploitation, faisant disparaître les nuances auxquelles Romero était attaché.
Knightriders est un film voué à l'échec, d'office. Les bisseux prêts à se taper du sous Mad Max se retrouvent face à un film mou du genou qui semble ne mener à rien, et les cinéphiles amateurs de Monte Hellman ou de Robert Kramer évitent le film dès le premier regard sur les photos de presse (alors qu'on a affaire ici à un film du niveau de Milestones, à un propos analogue - et non, je n'ai pas vu Milestones, mais ayant une confiance aveugle en le bon goût et le sens critique de mon ami Damien, je me permet de relayer sans vergogne ses propos!). Des motos et des chevaliers, ça sent le post apocalyptique à plein nez ! Et pourtant...
Romero réalise peut-être ici son film le plus émouvant, le plus profond, le plus chaleureux, brûlant d'optimisme malgré sa tournure profondément dramatique, véritable déclaration d'amour aux utopies marginales, lui-même aussi fragile que les utopies qu'il décrit, creusant une marge qui n'existe pas (ou plus), et le funeste destin de ce film est une mise en abîme de l'essence de son propos.
Dès l'ouverture, le film nous prend à revers. Après un rêve troublant, dérives d'un oiseau noir à travers les arbres, un homme s'éveille dans les bois, nu auprès de sa compagne, dans un cadre paradisiaque. L'ambiance sonore est mystérieuse, presque menaçante, le regard de l'homme aux aguets, celui de sa compagne inquiet. Une fois lavé, il se couvre d'habits médiévaux, prie devant son épée, sa femme passe une couronne, on comprend qu'ils sont roi et reine, la scène est magique, hors du temps, jusqu'au moment où le couple grimpe sur...une moto!
La musique prend un tour jovial, le coté désuet de la situation nous fait sourire, Romero nous place là où il le souhaite, en étrangers, spectateurs extérieurs conscients du ridicule de la situation, un homme en braies moyenageuses sur une moto.
Tout est dit dès le pré générique : le film traitera d'une utopie fragile, maintenue à bout de bras par ses acteurs, en lutte continue avec le réel.
De l'extérieur, les spectateurs (au cinéma) comme le public (à l'intérieur du film) ne voient qu'une bande de motards un peu kitsch jouer aux chevaliers en reconstituant des joutes avec des armes factices, allégées pour ne pas trop blesser, pour réduire les risques. Ils ne voient que le spectacle.
Mais le roi (Ed Harris) Barry est habité par l'âme de la chevalerie, croit de tout son être au monde qu'ils ont mis en place. Ce n'est pas un jeu, il vit avec une intégrité sans compromis sa vie de chevalier, sans la moindre distance. Il l'énonce clairement, "This is not an act! I'm trying to fight the Dragon!".
Le ridicule des premières minutes s'estompe doucement et l'on assiste aux préparatifs de la première joute du film. On rencontre notamment Morgan (Tom Savini), le Chevalier Noir, chaleureux, ami et rival du roi, qui vit avec plus de distance cette vie médiévale, prêt à certains compromis, voit tout ça comme l'occasion de rester dans les marges, de ne pas subir la pression de la société de consommation, quitte à devoir faire quelques compromis comme graisser la patte à un flic véreux afin de s'éviter des problèmes à venir, arrive ensuite le héros de la reine, le mage Merlin, le chantre qui présentera et commentera le spectacle, entre autres personnages oscillant entre cliché médiéval et archétype profond.
Les armes son vérifiées afin de s'assurer qu'elles ne soient pas létales, les lances sont sciées afin de se briser rapidement au contact, et enfin une musique médiévale enregistrée sur bande retentit, trompettes d'ouverture de tournoi jouées en playback par trois hommes costumés, et les choses commencent.
C'est là que soit ça passe, soit ça casse.
A l'image de la fragilité de la réalité alternative que nos chevaliers-motards de la Table Ronde tentent de maintenir à tout prix, chacun à sa manière, résistant comme elle peut à la pression de la société de consommation, à ses intrusions, ses tentations, ses perversions, notre empathie pour cette troupe ne tient qu'à un fil, on peut rester à l'extérieur et considérer le film et son propos comme ridicule, ou se laisser entraîner par les choses, être contaminés par l'enthousiasme, la sincérité du roi. On voit au cours de ce tournoi à quel point tout cela dépasse le simple spectacle. Les choses sont vécues réellement cette troupe, et cela suffit à les rendre réelle. Ce n'est pas une communauté de cirque, c'est une véritable résurgence de l'esprit de la Table Ronde à laquelle on assiste. Le roi affronte Morgan et perd cette joute, et soudain, tout devient tendu, le roi risque son statut de roi, ses chevaliers se mobilisent, sa reine prend peur, tout le coté désuet de la chose est mis de coté, n'a plus vraiment place, car tout devient réel, la chevalerie, la lutte pour la couronne, le danger, malgré le coté aseptisé de la chose, les armes qui ne tuent pas, les motos, le public, la musique enregistrée sur bande. Plus rien ne compte, car les choses se passent vraiment, sont vécues sans distance aucune.
Bref, c'est là que la magie prend ou pas. Car comme disent les anglophones "it is as real as it gets".
Soit on entre dans cet univers, soit on reste sur le carreau.
Car tout le propos du film, qui résonne d'ailleurs avec le propos de la plupart des films de Romero est là : la lutte contre le Dragon. La société de consommation qui a détruit les utopies de Mai 68, qui a perverti celles du Punk anglais, étouffé les avertissements de Debord et des situationnistes, qui souille tout ce qu'elle touche, qui récupère tout, assimile tout, ne laisse personne vivre tranquillement dans ses marges, ses replis, voilà le Dragon contre lequel se bat le roi.
Dès le premier conflit au sein de la troupe, on remarque à quel point l'utopie dans laquelle il vit est fragile.
Un seul individu refuse de lui reconnaitre son statut de roi, et tout se fissure, la réalité reprend ses droits.
Morgan tente de capitaliser sur le succès grandissant de leurs joutes, tente l'aventure dans le monde du spectacle. Mais sans les idéaux Arthuriens derrière, il n'est plus qu'un guignol déguisé en chevalier sur une moto, plus qu'un spectacle parmi les autres, une coquille vide.
Ce film parle du rêve, parle d'idéaux, parle du droit d'exister, raconte les utopies avec chaleur et parfois humour, et offre un espoir à ceux qui l'avaient perdu. L'utopie, quelle qu'elle soit, si elle se fait avaler par le Dragon, ne cesse jamais vraiment d'exister, mais la maintenir en vie est un combat de chaque instant.
De même que chez le réalisateur, dans ses films de zombies, si celui-ci représente d'un coté l'homme décérébré qui va répéter inlassablement les gestes que la société lui a imposé, allant finalement faire du shopping post mortem, ou répéter les gestes de son boulot, il représente aussi la force du changement, inexorable, qui avale tout, qui force l'évolution. Souvent, les survivants sont finalement des réactionnaires, des rednecks, des personnages archétypaux attachés à des valeurs datées et réunis par la nécessité de survivre envers et contre tout.
Les films de Romero ne sont jamais manichéens (ou du moins ne l'étaient pas à cette époque).
Knightriders ne déroge pas à la règle. Le film est sombre et optimiste à la fois, invite à créer sa réalité en ne mentant jamais sur la difficulté de l'entreprise, et offre un regard plein de nostalgie sur les tentatives du passé, plein de distance critique aussi. Le ridicule de la situation, sa dimension grandguignolesque n'est jamais occultée et pourtant, la magie prend, on est emporté dans le combat du roi Barry.
Certaines scènes arrachent des larmes, mais une fois le film achevé, on comprend que son destin est d'être à jamais un chef d'oeuvre secret, de ne jamais accéder à la reconnaissance qu'il mérite, de par son propos et son imagerie, de par l'identité même entre son propos et son statut, tout deux aussi profonds et puissants que fragiles.
Il n'en reste pas moins que ce film est une perle qui trouvera ponctuellement son public, pour peu qu'il tombe au bon moment dans le parcours du spectateur.
Créée
le 4 oct. 2012
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