Gentes dames et gents damoiseaux, faites la place à Knightriders, le joyau de la couronne de George Romero. Derrière ses oripeaux carnavalesques, ses cérémonies solennelles, et motards en armures de plate, se cache une étude sociologique plus subtile que ne le laisse envisager ses joutes médiévales motorisées. Cet argument de série B semblait conduire le projet droit dans le mur, mais le traitement que lui réserve son réalisateur laisse exprimer une mélancolie désarmante, à travers l’autopsie d’une communauté utopiste fonçant droit dans le mur.


La Tyrannie Hollywoodienne

A l’orée des années 80, les mouvements hippies ont fini désintégrés par les pistolets laser de Georges Lucas (La Guerre des étoiles) et les hélicoptères de Francis Ford Coppola arrosant les forêts de napalm sur fond de Valkyrie (Apocalypse Now). Les succès respectifs de Spielberg (Les Dents de la Mer) ont radicalement bouleversé le paysage hollywoodien. Les grandes majors reprenaient du poil de la bête, mais le triomphe de Zombie aura tout de même permis à George Romero de goûter à une forme d’indépendance et de mettre en branle le système. Le cinéaste refusant de s’enfermer dans un genre décida donc de ressortir un projet médiéval de ses placards, à une époque où les studios ne juraient plus que par l’action et la science-fiction.


La consécration de Mad Max en 1979 conditionna néanmoins le projet. Les chevaux seront remplacés par des motos à la demande du producteur Sam Arkoff, qui finira par abandonner sa bécane sur la ligne de départ. Paradoxalement, la même année sortait pourtant de terre d’autres productions d’heroic fantasy : Excalibur, Le Dragon du lac de feu, suivi de Conan le Barbare à peine un an plus tard. Le flop de Knightriders est probablement à mettre au crédit de cette nouvelle vague déferlant sur les écrans, mais peut-être aussi lié à ses ardeurs frondeuses et contestataires à l’égard de l’establishment américain.


L’échec reste néanmoins relatif comme le sous-entend son réalisateur qui en garde un souvenir émouvant. En effet, ce film constitue (de ses propres dires) sa meilleure expérience et son œuvre la plus personnelle. L’ambiance de tournage fut particulièrement familiale et propice à la solidarité. Cette euphorie communicative irradie d’ailleurs tout le long-métrage. Par habitude, George Romero s’est entouré de ses plus fidèles vassaux et loyaux sujets : Christine Forrest (son épouse), Ken Foree (vu dans Zombie), John Amplas (vu dans Martin), ainsi que Tom Savini (le célèbre responsable des effets spéciaux).


Les Chevaliers du Fiel


A l’instar de sa communauté, le spectacle orchestré par ces artistes bohèmes n’a pas pour vocation à capitaliser, mais bien à colporter un mode de vie simple et forain résistant à l’impérialisme Reaganien. Mais comme toute entreprise le nerf de la guerre reste le dieu dollar, et c’est principalement ces problèmes pécuniers qui pousseront les membres à s’entre-déchirer. Si le décalage opéré entre le mythe arthurien et l’époque contemporaine tend à accentuer le penchant dérisionnel de l’œuvre, cela permet avant tout au cinéaste d’innerver son folklore, de placer le spectateur dans le même état confusionnel et désinvolte que sa troupe d’intermittents.


Les intrigues, rebondissements et querelles, seront autant d’épreuves immergeant les acteurs dans un jeu de rôle ludique, renforçant l’illusion d’assister à un authentique récit de chevalerie (l’adoubement d’un chevalier, les batifolages et joutes médiévales, le duel face au chevalier noir). Cette mise en scène théâtrale sert subtilement le propos du film, confrontant ses protagonistes à une réalité bien moins romanesque : le public d’ignares ivrognes célébrant l’événement comme des matchs de football américain, la perversion des valeurs et idéaux, la corruption d’un shérif n’hésitant pas à faire usage de la force pour leur soutirer des pots-de-vin, ou encore les joutes motorisées exploitées par un show télévisuel rutilant et grotesque.


Le désenchantement progressif et le bras de fer institutionnel restent néanmoins au cœur de la machine, et le spectateur sait que la réalité finira amèrement par briser les illusions de la communauté. Mais là encore, cela se fera par le prisme de l’imaginaire au travers d’un dernier duel spectaculaire. Contrairement à la mythologie arthurienne plaçant le héros face à un antagoniste maléfique par essence, George Romero refuse tout manichéisme, faisant du capitalisme le catalyseur de cette lutte intestine entre frères portés par leurs idéaux respectifs.


Le roi Billy refuse toute soumission à l’hydre capitaliste, puisque cela reviendrait à trahir le code d’honneur établi. Morgan à l’inverse souhaite faire des compromissions pour pérenniser ce mode de vie marginal. Avec cette confrontation, George Romero fait de nous les témoins de la dernière chevalerie, livrant une réflexion pertinente sur les affres et contradictions pervertissant l’industrie du grand spectacle. Optimiste bien que mélancolique, le cinéaste choisira de transmettre le relais à une nouvelle génération qu’il croit capable d’entretenir la flamme sacrée. L’utopie n’est pas morte en vain, l’héritage subsistera.


Si toi aussi tu es un gros frustré qui en a marre de toutes ces conneries, eh bien L’Écran Barge est fait pour toi. Tu y trouveras tout un arsenal de critiques de films subversifs réalisés par des misanthropes qui n’ont pas peur de tirer à balles réelles.

Le-Roy-du-Bis
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le 9 févr. 2025

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