Knit's Island nous emmène à la rencontre de communautés vivants sur différents serveurs de DayZ, un jeu vidéo multijoueur de survie. Le trio des réalisateurs documente tout autant la vie des communautés rencontrées que leur rapport au monde virtuel, au groupe, et au sens de leur action.
le film impressionne moins par son discours sur la réalité (et oui, ce qui se passe sur un serveur web compte aussi) que par sa mise en scène très originale. Caméra à la première personne, sans fioriture, on ressent toute la matérialité de l'avatar. Cela donne lieu à nombre de situations cocasses, comme lorsque le caméraman s'approche un peu trop près d'une dominatrix cannibale (!) qui menace de le tuer, ou lors de scènes pleines de tension où l'on craint réellement pour la vie du trio de réalisateurs. Par ricochet, cela donne par la suite beaucoup de valeur aux plans rapprochés sur les personnages amicaux qu'ils rencontreront. Knit's Island restitue aussi très justement ce que c'est de s'exprimer avec un avatar : c'est-à-dire avec un personnage inexpressif possédant une palette d'actions très limitées. Cela donne autant lieu à des scènes très drôles (la scène du rituel païen, la rave party) que très poétiques, lors desquelles l'expression illisible du personnage interviewé laisse libre champ aux interprétations sur le sens de la réplique donnée. Celui-ci est-il fier ou triste d'avoir passé plus de 1000 heures sur DayZ ? Celle-là est-elle heureuse d'observer les champs d'herbes virtuels dans lesquels le vent s'épanche, ou regrette-t-elle le bush australien qu'elle a quitté des années auparavant ? Mentions spéciales à la scène du chien qui aboie à travers les lèvres d'un avatar et à celle où l'on réveille un joueur endormi à coup de mitraillettes.
en bout de course, c'est le rapport à la communauté de jeu et au temps nécessaire à leur existence qui retient le plus l'attention des réalisateurs. Les joueurs et joueuses le temps passant semble de moins en moins intéressé·es par le fait de jouer au jeu que de retrouver leurs ami·es. Dans le dernier tiers du film, cela se matérialise très concrètement par une fuite vers les limites du monde du jeu joué vers un désert infini et paradoxal, dans lequel les bugs viennent autant souligner l'étroitesse du monde de DayZ que le plaisir juvénile de s'affranchir de toutes règles. Chapeau au trio de réalisateurs d'avoir réussi à saisir ce qui fait le grain des amitiés internet et des heures passer à gambader dans des espaces numériques.