Après les annonces record d’investissement dans le cinéma coréen par Netflix l’été 2023, les autres plateformes streaming ne pouvaient évidemment pas rester sans réagir ; et après plusieurs productions Apple et Disney, c’est au tour d’Amazon de se lancer dans la folle course au k-profit avec cette première production cinématographique (sur petit écran), Knuckle Girl (Yoon Hong-Seung, aka CHANG, 2023). Et la multinationale n’a pas fait les choses à moitié en jetant son dévolu sur l’adaptation d’un populaire webtoon éponyme (lisible en français sur delitoon) de Jeon Sang-yeong.



Après les annonces records d'investissements dans le cinéma coréen par Netflix à l'été 2023, les autres plateformes de streaming n'ont évidemment pas pu rester sans réagir. Après plusieurs productions d'Apple et Disney, c'est au tour d'Amazon de se lancer dans la course effrénée au « K-succès financier » avec sa production cinématographique (pour le petit écran), Knuckle Girl (Yoon Hong-Seung, aka CHANG, 2023). La multinationale n'a pas fait les choses à moitié en optant pour l'adaptation du populaire webtoon éponyme de Jeon Sang-yeong (disponible en français sur delitoon)


Les webtoons sont une véritable particularité nationale et la transcription numérique du manwha traditionnel. Les premiers webtoons ont été des scans de planches originales téléchargées gratuitement sur Internet par leurs auteurs à la fin des années 1990 afin de se faire connaître. Avec le développement de l'informatique, certains créateurs ont progressivement ajoutés des animations en flash, avant d'adapter leur mise en page aux smartphones et tablettes avec une seule case déroulée verticalement pour offrir une expérience de lecture plus dynamique. Les auteurs peuvent ainsi exploiter des éléments tels que les effets sonores, les animations, la temporalité, la taille des plans et les couleurs, sans être limités par la structure rigide d'une page.


Les premiers webtoons ont été publiés sur Internet en 2003 sur les sites web coréens Daum et Naver, et depuis lors, leur popularité ne cesse de croître. Pendant la pandémie du Covid-19, ces webtoons comptent plus de 17 millions d’utilisateurs réguliers en Corée et plus de 85 millions dans le monde entier.


Au cinéma, après l’échec, en 2006, des deux premières adaptations de webtoons, Dasepo Naughty Girls (Lee Je-yong) et APT (An Byung-ki), le succès de Secretly, Greatly (Jang Cheol-soo, 2013) déclenche finalement une vague de transpositions, parmi lesquelles Inside Men (Woo Min-ho, 2015), Steel Rain (Yang Woo-suk, 2017) et surtout Along the Gods 1 & 2. Première superproduction coréenne à avoir été pensée dès le tournage pour une sortie en deux parties, elle rassemble respectivement 14 et 12 millions de spectateurs en se classant comme second et 10e plus gros succès de tous les temps en Corée à leur sortie. Depuis les adaptations ne cessent de se multiplier au cinéma, comme à la télévision ; entre 2022 et 2023, plus d’une trentaine de séries télévisées sont ainsi des adaptations de webtoons.


Knuckle Girl a débuté sa publication en ligne en 2014 sur KakaoPage et s'est conclu après 77 épisodes. Le webtoon original combine des éléments de polar et de récit d'action, suivant l'histoire de Ran, une boxeuse enquêtant sur une agression mystérieuse qui a plongé sa sœur dans le coma. Au fur et à mesure qu'elle progresse dans ses investigations, elle révèle une facette méconnue et plutôt sombre de sa sœur, et plonge, malgré elle, dans le monde des combats clandestins.


Pour la réalisation, Amazon semble avoir adopté la même approche que ses concurrents : choisir un réalisateur principalement axé sur l'aspect visuel, ayant déjà fait ses preuves tout en étant modestement reconnu, probablement pour maintenir des coûts salariaux plus bas et garantir un contrôle total sur un artisan plutôt qu'un artiste inspiré. Ils ont donc opté pour Yoon Hong-seung, un réalisateur renommé pour ses clips vidéo, ayant débuté avec le film d'horreur coréen (très moyen) Death Bell 1 (2008). Il a connu une certaine notoriété avec la présentation hors compétition et en séance de minuit au Festival de Cannes en 2014 de son film (très moyen) The Target (remake du film français À bout portant de Fred Cavayé sorti en 2010) avant de réaliser le mélodrame (très moyen) Canola (2016).


En 2017, Chang a effectué sa première incursion à l'étranger en réalisant le film de science-fiction chinois (très très très moyen) Reset, produit par Jackie Chan, et depuis... plus rien. Cela peut s'expliquer par le fait que l'ensemble de ses films ont été, au mieux, moyens, mais jamais vraiment convaincants en raison de leur caractère trop impersonnel et de leur maîtrise insuffisante. Des purs films de divertissement commerciaux signés par un simple artisan, aussitôt vus, aussitôt oubliés.


Le même constat désolant s'applique malheureusement à Knuckle Girl. Afin de condenser les 77 épisodes en moins de deux heures de film, les trois (!) scénaristes ont pratiquement éliminé l'enquête et le passé (important) des sœurs au strict minimum, concentrant toute l'intrigue sur une série de combats déjà vus mille fois ailleurs, et de manière bien meilleure. Même si l'actrice principale, Ayaka Miyoshi, se donne corps (beaucoup) et âme (un peu) dans le rôle de Ran, en ayant notamment suivi un entraînement intensif de six mois pour paraître convaincante en tant que boxeuse et combattante de MMA, elle est malheureusement desservie par une mise en scène paresseuse et peu maîtrisée.


Chang, qui a peu d'expérience en tant que réalisateur de films d'action, avait déjà montré des faiblesses dans la réalisation relativement plate de son film The Target. Il se contente ici de multiplier les lieux de combats, d'illuminer certains décors avec des lumières néons empruntées à ses clips vidéo, tout en multipliant les mouvements de caméra pour un effet de mode, et les plans de coupe pour tenter de dissimuler son propre manque de contrôle et les lacunes de son casting en matière de combats.


Pire, il néglige même d'explorer adéquatement les divers lieux pour tirer éventuellement parti de cadrages surprenants. Certains plans du combat en cage deviennent parfois illisibles, capturés derrière le grillage, tant bien que mal, plutôt que d'exploiter les profondeurs et même de jouer avec les éléments du décor pour intensifier l'action et le suspense.


En l'absence d'un travail scénaristique adéquat, tous les personnages ne sont que des caricatures grossières, immédiatement assimilables aux personnages interchangeables des « bons », des « méchants », des « faux gentils / méchants » et du hacker de service présents dans des milliers d'autres productions de série B et Z des dernières décennies à travers le monde. Il s'agit simplement d'une production vite torchée, à l'image des productions que les passionnés de cinéma ont pu connaître pendant l'âge d'or de la VHS, puis du DVD (dans les bacs à 1 euro), mais qui – méconnaissance totale du vrai cinéma et des coûts réalistes oblige – a dû coûter des millions ici.


Mais la plus grande surprise réside certainement dans le choix de Chang de transposer toute la production... au Japon. Aucune interview n'a encore fourni d'explication satisfaisante à ce choix étrange. Tout au plus, le cinéaste mentionne avoir voulu réaliser « un projet global impliquant un scénariste, des acteurs japonais et une plateforme de streaming mondiale ». En gros, il a décroché l’appel d’offre, encaissé le chèque et a tenté de s'associer avec les Américains (Amazon et les studios de la Metro Goldwyn Mayer, dont le logo ouvre le film) et les Japonais pour s’assurer des futurs boulots.


Knuckle Girl frôle finalement le cynisme : alors que le cinéma coréen est souvent dit avoir subi toutes sortes d’influences étrangères, ici la situation est inversée : cette fois le matériau original est coréen (si l’on fait abstraction du fait, que le webtoon s'inspire déjà la base du manga japonais et que l'histoire de Knuckle Girl est tout de même très largement empreinte à des douzaines de scénarii similaires américains), financé par les États-Unis et transposé au Japon. Un vrai retour à l’envoyeur, en somme – et vu le résultat, on ne récolte, que ce que l’on a semé.


C’est une aussi la preuve effroyable, que « la mondialisation » a (quelque part) finalement triomphé : Knuckle Girl est ni plus, ni moins que du fast-food indigeste comme servi partout ailleurs dans le monde, mais vendu sous l’étiquette trompeuse de « K-Cinema ». Soyez plus malins, ne vous faites pas avoir ! (et mettez clairement le pouce vers le bas, si vous avez eu le malheur de vous lancer dans le visionnage de ce navet plus que dispensable).

Créée

le 29 nov. 2023

Critique lue 78 fois

Critique lue 78 fois

Du même critique

Decision to Leave
Bastian_Meiresonne
6

Beauté (plastique) fatale

Même si Park Chan-wook revient (un peu) aux bases de son cinéma, on le retrouve à son niveau habituel : la forme prime sur le fond, la machinerie est bien huilée, c’est beau, c’est inventif (dans sa...

le 26 mai 2022

29 j'aime

Ça tourne à Séoul ! Cobweb
Bastian_Meiresonne
9

Toile de Maître(s)

Ça tourne à Séoul, dixième long-métrage de Kim Jee-woon (J’ai rencontré le Diable) signe le retour du réalisateur à la comédie pour la première fois depuis les débuts de sa carrière. Cette satire sur...

le 27 oct. 2023

19 j'aime

8

The Strangers
Bastian_Meiresonne
8

Cause à effets

SPOILER – LECTURE DU FILM ATTENTION – ne lisez SURTOUT pas cette « lecture » du film avant de l’avoir vu. Ceci est une interprétation toute personnelle – je n’impose aucune lecture à aucun film,...

le 2 juin 2016

19 j'aime

4