Un homme, bien vieux (rares cheveux encore sur le caillou), à bout de forces (il faut le voir monter sur un tabouret), passe le plus clair de son temps à dormir. De temps en temps, sa fille vient le voir, pour remettre de l’ordre dans son appartement et vérifier qu’il est toujours en vie. A cette occasion, elle vient avec son bébé alors que le père de l’enfant se désintéresse de la situation.
Le film joue sur plusieurs tableaux. D’abord, sur le fait que, trop préoccupée par tous ses rangements, la femme ne fait pas du tout attention à ce que fait son enfant. S’il a le physique d’un bébé, son visage fait déjà étrangement adulte. D’ailleurs, on sent qu’il a tout pour devenir à l’image de son grand-père qui passe ses journées affalé sur son lit. C’est un explorateur et casse-cou à tendance imitatrice : voir ses efforts pour utiliser un briquet qui traine par terre.
L’autre tableau qui émerge en parallèle, c’est l’effet pervers des souvenirs du vieil homme, ceux du temps de sa splendeur, quand il était cosmonaute. Il est à un âge où ce qui compte encore pour lui, ce sont les sensations les plus marquantes de son existence. Deux émergent manifestement, l'envie de flotter en apesanteur comme lorsque, cosmonaute, il faisait ses sorties dans l’espace (son héros se nomme Youri Gagarine) et retrouver son amour pour la femme de sa vie (peut-être renforcé justement du fait de l’éloignement lorsqu’il était en orbite autour de la Terre).
On peut ajouter un troisième tableau avec l’aspect social. Le vieil homme vit seul, sa fille risque régulièrement de voir son enfant victime d’une catastrophe du fait de son inattention. Quant à son mari, il désapprouve ostensiblement le choix de laisser le vieil homme seul chez lui. Enfin, c’est en remettant régulièrement des objets à leur place, que la femme peut provoquer la catastrophe. En effet, elle ne peut pas ignorer que son père prendra à nouveau des risques pour les rechercher. D’ailleurs, est-ce qu’elle s’en inquiète vraiment, sachant comment elle s’y prend pour vérifier s'il est encore en vie ? L’absence de dialogue joue beaucoup pour faire sentir leur éloignement.
Alors bien-sûr, ce film est assez poignant, car le vieil homme est visiblement au bout du rouleau. On le sent à la merci du moindre geste maladroit. Il a beau rechercher encore et encore les mêmes objets aux mêmes endroits (sa fille est une obsédée de l’ordre), il est régulièrement très limite. Mais Kaspar Jancis, le réalisateur estonien montre toutes ces situations avec une vraie tendresse et pas mal de jolies touches d’humour (et une chute très douce et pudique). L’animation met bien en valeur les associations entre les souvenirs du vieil homme et son comportement du moment. On note des cadrages et angles de vues bien choisis ainsi qu’un agréable choix de couleurs qui colle bien avec le style (soigné) de dessin. La bande-son apporte une habile touche nostalgique.
Une réussite qui vaut à ce court métrage (12 minutes), une sélection méritée au festival du film d’animation d’Annecy 2020.