Koyaanisqatsi
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Koyaanisqatsi

Documentaire de Godfrey Reggio (1983)

Tu contemples ton âme, dans le déroulement infini de sa trame.

Les prises de vues qui ouvrent Koyaanisqatsi sont une invitation : à se délester des attentes du récit et du propos pour se laisser aller à la contemplation. Pour peu qu’on se laisse prendre à cet élan, le voyage vaudra le détour.
Car c’est bien de détour qu’il s’agit, par le changement de perspective, un nouvel angle de vue sur ce bas monde qu’est le nôtre. Capra proposait, dans La vie est belle, d’imaginer un monde dans lequel nous ne serions pas nés. Reggio nous convie à adopter le point de vue du créateur omniscient, du grand horloger qu’honorait Voltaire. Capable de scruter l’infiniment petit du circuit imprimé comme de nous envoyer en orbite, de figer le temps avec une acuité hors norme ou de l’accélérer pour faire découvrir les pulsations de la ville.

La question mérite d’être posée : après Vertov et Pelechian, est-il bien raisonnable, à l’aube des années 80, de reprendre les mêmes procédés pour donner à voir le monde ? et surtout, comment ne pas y voir une fable écologique, alter mondialiste, voire new age ?
L’émotion que génère Koyaanisqatsi est celle d’un au-delà du langage, et surtout des forces pernicieuses de la rhétorique. Certes, la collusion de séquences et l’éloquence du montage permettent des rapprochements édifiants : barrer un sublime paysage par des lignes à haute tension, faire se succéder la production industrielle de saucisses avec le déversement d’escalators, mettre en parallèle la fourmilière humaine et les chaines de production ne sont pas des procédés innocents.
Mais la force paradoxale de Koyaanisqatsi réside dans sa pudeur. Car la distance opérée avec le monde contamine son propos, qui refuse l’univoque : ainsi se mêlent effroi et euphorie, fascination et répulsion.
Car cette machine rutilante qu’est l’humanité dévore autant qu’elle suscite l’admiration. Le ballet des voitures, les courbes des voies rapides, la mosaïque des fenêtres qui s’allument ponctuellement sur les façades deviennent belles lorsqu’on les affranchit de la durée à échelle humaine. Reggio ne nous propose pas de fuir, ni de nous voiler la face, mais d’adopter le point de vue atemporel des instances qui nous gouvernent : temps, espace et mouvement.
Souligné par l’extraordinaire musique de Glass, qui lui seul pouvait transcrire cette hypnose frénétique par ses boucles et modulations, le monde est beau, assez vain, et la machine s’auto-fabrique dans une course dont le seul objectif est, un temps durant, l’harmonie.

La beauté la plus forte rend triste : c’est cet instant vibrant où l’individu, par le biais de l’art, appréhende plus haut que lui, et saisit ce frisson qui révèle conjointement la ridicule échelle de son espèce au regard du cosmos et la splendeur de leur cohabitation.

Koyaanisqatsi la donne à voir.
Sergent_Pepper
9
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le 8 févr. 2015

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Sergent_Pepper

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