Au delà du tourisme

En plantant leur caméra à Krabi, les cinéastes Ben Rivers et Anocha Suwichakornpong (dont on a pu voir en 2009 « Mundane story ») inscrivent leur geste créatif dans un dépassement de la forme documentaire. S'ils représentent Krabi comme le haut lieu touristique qu'il est, lié à l'attrait des plages et des grottes, leur approche vise à rendre compte de l'écart des comportements, entre la permanence des rites (un étonnant temple cerné des phallus où les femmes viennent prier pour avoir des enfants) et la frivolité touristique (le temple et la plage voisinent).

Dans la démarche des deux cinéastes, on ne ressent pas une critique forcenée à l'endroit du dévoiement touristique des lieux. Il s'agit plutôt d'opérer un pas de côté en allant à la rencontre de personnes locales (un ancien boxeur assis devant sa maison, un ancien projectionniste de cinéma), dans la perspective de rendre aux lieux leur charge historique. Si la question du cinéma est très présente dans « Krabi, 2562 », c'est à la fois en tant qu'approche sensible (tourner sur la plage, sur fond de rochers karstiques) dans une immédiateté flottante, mais plus largement comme une métaphore : qu'est-ce que le cinéma peut révéler d'un lieu au delà de sa pure et immédiate représentation filmique, au delà de son accaparement par le filtre touristique ?

C'est au travers d'une mystérieuse jeune femme, venue en quelque sorte faire des repérages pour un film, que cette interrogation prend tout son sens. Quand elle va à la rencontre de différents personnages, cela marque son intention de faire surgir des significations cachées. Elle sert littéralement de pont entre le passé (révéler la force d'un lieu) et le futur (en quoi un lieu peut être porteur d'une fiction à venir).

C'est dans cet écart (plus que de tension) que « Krabi, 2562 » devient passionnant. Ben Rivers et Anocha Suwichakornpong parviennent à resituer aux lieux qu'ils filment leur force primaire, comme à travers ce superbe mouvement de caméra qui commence dans les eaux d'une grotte que la jeune femme mystérieuse traverse, pour aller caresser de manière enveloppante les parois avant de finir à l'extérieur, dans une contre plongée où scintille le ciel. Et si les apparitions d'un couple de Neandertal peut revêtir un caractère incongru, leur présence silencieuse confirme la volonté des cinéastes d'explorer des espaces en confrontant la volatilité contingente au travail du temps.