Le membre fantôme
On a tous un élément un peu bâtard qui gravite au sein de la cellule familiale. Ici, c’est annoncé d’office, c’est notre personnage principal, et on devine à la façon empruntée et mielleuse dont les...
le 23 janv. 2018
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On a tous un élément un peu bâtard qui gravite au sein de la cellule familiale. Ici, c’est annoncé d’office, c’est notre personnage principal, et on devine à la façon empruntée et mielleuse dont les gens la traitent qu’elle a un gros bagage et qu’elle est un peu instable. Tout ce joli monde se réunit pour fêter Thanksgiving et tient un rôle bien précis dans la mascarade qui se joue ; mais malgré les efforts pour dissimuler les cadavres sous le tapis, ça empeste les vieilles rancoeurs.
Krisha est un film qui, sous la forme audacieuse du thriller, exploite et exacerbe ce sentiment d’inconfort extrême qu’on ressent lorsqu’on assiste impuissant à l’introduction d’un protagoniste incontrôlable dans une mascarade bien huilée. Et notre protagoniste, c’est cette sœur/tante/mère dont on sait qu’elle risque de pourrir l’ambiance à tout moment, et qu’on déteste un peu pour ça : les plus cons la provoquent, les autres l’évitent et quand ils n’y parviennent pas, la caressent dans le sens du poil pour sauver la soirée. Finalement, le passé et les ressentiments qui se décomposent dans les placards de la famille de Krisha n’ont pas grande importance, le film se déploie tout entier autour de la tension palpable qui traverse, à travers la musique et la mise en scène, cette chronique d’un désastre annoncé.
On est quand même tentés d’y voir un rictus sarcastique adressé au théâtre des relations sociales, où chacun respecte les conventions et où l’irrévérencieux qui n’en fait autant est discrètement évincé. Plus étouffante encore, la cellule familiale hypocrite qui cherche à tout prix à sauver les apparences en amputant le membre gangréné (c’est Krisha), le terreau de bons sentiments dans lequel germent les pires cruautés.
Alors en vrai il se passe pas grand-chose, mais Trey Shults (comme dans It comes at night) arrive à donner corps, grâce à sa mise en scène, à la menace ineffable qui plane. Ça donne un curieux décalage fond/forme (drame familial sirupeux/thriller psychologique voire d’épouvante), et ça fait la part belle à un malaise épais et poisseux qui va bien.
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le 23 janv. 2018
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