Vu lors de la reprise Gerardmer à la cinémathèque, Ghostland a fait salle (presque) comble, la faute à Mylène ou à une belle promo à base de grand prix; toujours est-il qu'il est délicat pour une inconditionnelle du "genre" et une fan de Martyrs de produire un avis objectif sur le film. J'en attendais énormément de ce petit dernier, ayant été exposée bon gré mal gré aux critiques très positives qui sont tombées dans les jours suivant la présentation, et j'étais d'autant plus optimiste en voyant revenir Laugier avec un casting franco-quelque chose et quasi exclusivement féminin, sur un premier aperçu qui s'annonçait sombre et mind-fuck à souhait..
Ghostland ressemble à Martyrs dans sa construction, en deux parties clivées par un retournement de perspective significatif, mais se pose davantage comme un exercice de style doté d'une forme cinématographique plus travaillée, plus complexe, au service de motifs récurrents.
Le réalisateur, une fois de plus, met le spectateur face à un prisme d'émotions intenses, avec une mise en scène au rythme tellement insoutenable que ça frôle le sarcasme (des jump-scares à filer des crampes, une vieille maison remplie de poupées, bref un empilement de clichés du genre horrifique avec une intrigue qui emprunte complaisamment tous les sentiers battus et creuse encore), et bien évidemment un joli trompe l'oeil en première partie. C'est tellement baroque, presque kitsch, qu'on se laisse prendre au jeu.
Puis on relève avec délectation, dans ce macabre freak-show traumatique, des thèmes plus subtils: la fiction comme fantasme, comme refuge illusoire voire dangereux, la sororité et le sacrifice de soi sur l'autel de cette dernière, qu'on retrouvait dans Martyrs... Ici encore on a affaire à un binôme féminin martyrisé (est-ce pour ça que Laugier a été taxé de misogynie? pour mettre en scène des femmes en proie à une souffrance paroxystique?), victimes animées d'une force incroyable contre des bourreaux inhumains, et victimes d'elles mêmes également, des tours joués par l'esprit pour l'empêcher de céder.
A l'inverse de Martyrs (plus littéral, mais à la portée métaphysique), qui confrontait l'héroïne et le spectateur aux confins de l'horreur, consciente jusqu'aux limites du supportable, Ghostland joue davantage, et jusqu'à la toute fin, sur la tromperie des apparences, salvatrice ou dangereuse selon le point de vue duquel on se place.
Les deux films, je crois, traitent de l'abandon de soi dans la souffrance, de deux manières différentes qui jouent sur les sens figuré/littéral de l'expression. Est-ce pour ça alors que le réalisateur donne ses premiers rôles (voire ses seconds et troisièmes) à des femmes? Pour leur capacité à endurer la souffrance, pour les multiples facettes que celle-ci revêt, et qui ne s'expriment jamais mieux qu'au féminin?
Un beau geste en somme, d'une grande richesse, qui démontre - à nouveau - avec fracas qu'on peut user (et abuser) de codes apparemment éculés pour servir un propos plus large.