3ème Festival Sens Critique, 11/16
L’animation a ceci de riche qu’elle peut combiner les vastes étendues d’un imaginaire aux contraintes artisanales de la réalisation. C’est le cas pour tout un pan de ce cinéma, en stop motion, en pâte à modeler ou par le recours aux marionnettes. Celles-ci font toute la force de cette adaptation du joueur de flute de Hamelin, conte médiéval germanique déjà très sombre sur l’invasion, le génocide, l’ingratitude et la vengeance.
Les automates de bois, dans un décor obscur, animent donc une ville progressivement envahie par les rats. Dès le départ, la communion entre les « humains » (ou du moins ce qu’on assimile comme tels, tant leur visages et leurs gestes sont à la fois outrés, robotisés et rendus effrayants) et les rongeurs est faite : même bâfrerie, même sens de la dévoration et de la convoitise. Si le film n’est pas muet, ses rares dialogues sont néanmoins dans un yaourt qui ajoute encore à la déshumanisation des personnages. Toute la première partie consiste en un sens aigu du détail, souvent par le recours au zoom qui passe du décor à une lucarne et donne accès à un décor poreux, propice à l’invasion. Portes, fenêtres, fissures abondent, jusqu’aux galeries qui vont nous montrer la prolifération animale.
Le travail de deux ans est à la hauteur du résultat : profus, ciselé et inventif, à l’image de cette mécanique d’horlogerie qui ouvre le film.
L’arrivée du joueur de flute et son revirement contre l’ingratitude de ceux qui refusent de le payer achève de faire le portrait d’une humanité en pleine décadence. Non seulement, celle-ci continue à vivre dans l’excès, mais le double d’un viol collectif aviné qui fait froid dans le dos et justifie le « nettoyage » de la ville par le protagoniste. Sombre, désespéré et à ne pas mettre sous les yeux des plus petits, l’unique rédemption sera la capacité du magicien à fleurir et verdir un décor minéral dans lequel les rares survivants de cette Babylone iront trouver refuge. Une lueur d’espoir qui conjugue la morale avec l’animation, qui prend dès lors une couleur nouvelle.