Kubo, un jeune garçon borgne depuis que son grand-père lui a arraché un oeil, vit seul avec sa mère, rendue mutique par la douleur des épreuves qu’elle a traversées, dans un village du bord de mer. Il y gagne sa vie en racontant des histoires avec des origamis auxquels il a le don de prêter vie. Mais voilà que ses tantes, émissaires de son maléfique grand-père, apparaissent et cherchent à s'en prendre à Kubo. Pour échapper au courroux de son grand-père, qui cherche à lui voler son deuxième oeil, le jeune garçon va devoir traverser les Terres Lointaines à la recherche d’une armure magique, seul défense efficace contre les maléfices de sa famille…
Quatrième film des studios Laika, Kubo et l’armure magique en est certainement le plus abouti. Sur la forme, d’abord, même si la perfection du stop-motion pose un léger problème. En effet, l’usage de la technique de l’animation en volume, même si la synthèse vient parfois en renfort pour certains décors, devient ici tellement parfaite qu’elle en est quasiment invisible. C’est visuellement superbe, mais on peut dès lors se demander si avec l’utilisation d’images de synthèse pures, on ne pourrait arriver à un résultat sensiblement similaire, pour des efforts de travail beaucoup moins titanesques. La question posée, on peut toutefois continuer à s’émerveiller devant un travail qui produit de si beaux fruits, d’autant que, contrairement aux précédents films (Coraline, L’Etrange pouvoir de Norman, Les Boxtrolls), les designs des personnages sont moins caricaturaux, et leur apparence agréable dès le premier coup d’œil. Cela dit, c'est peut-être, paradoxalement, ce qui enlève une (petite) partie du charme du stop-motion...
On s’attache donc immédiatement aux différents protagonistes, et bien sûr Kubo et sa mère en premier lieu. Le scénario, lui, pour classique qu’il soit, n’en fonctionne pas moins malgré quelques imprécisions ou légers raccourcis, et il instille à la quête que mène Kubo un souffle épique et romanesque, soutenu par la belle musique de Dario Marianelli, qui se fait rare dans ce genre de productions, alors même que les grands espaces et les vastes horizons que le film adopte pour cadre sont finalement assez réduits en nombre.
Enfin, on pourra apprécier la morale proposée par le film, qui échappe à toute guimauve sentimentale, assumant sa part de dureté, qui fait directement écho aux épreuves traversées par chacun dans la vie, mais assurant également au film une bonne part d’émotion, quoique l’humour ne soit pas non plus mis de côté. Ainsi, le voyage qu'effectue Kubo apparaît comme un parcours initiatique, menant Kubo de l'âge de l'enfance à l'âge adulte, et aux épreuves auxquelles cette maturité implique de faire face :
un âge où l'on apprend à se défendre par soi-même (l'épée incassable), où l'on apprend à se protéger du regard et de l'influence des autres (le plastron impénétrable, gardé par une multitude d'yeux qui sondent et captent l'esprit), où l'on apprend à faire preuve d'intelligence, à maîtriser sa propre volonté (le heaume invulnérable) afin de résister aux influences néfastes, un âge, enfin, où l'on apprend à faire face aux deuils d'êtres chers (les deux parents de Kubo, qui ne reviendront pas, permettant ainsi au film d'éviter le piège d'une happy end artificielle), et à répandre le bien autour de soi (la superbe scène où les villageois font croire au Roi Lune, devenu amnésique, qu'il a passé sa vie à faire du bien, afin qu'il en fasse réellement).
Enfin, la symbolique très poussée autour du regard et des yeux propose, à travers le thème de l'aveuglement (physique comme intellectuel), une réflexion intéressante sur la condition humaine. Le grand-père de Kubo, qui s'est rendu aveugle, afin de résister à toutes les faiblesses humaines, ainsi que les deux tantes du jeune garçon, qui ne communiquent qu'à travers un masque impassible, s'opposent directement à Kubo, qui résiste à la tentation de la perfection, et aux villageois, qui ont conscience que leur monde terrestre est imparfait, mais qu'il vaut la peine qu'on se batte pour lui, afin de l'améliorer en faisant le bien, dans la mesure des capacités de chacun. D'ailleurs, le grand-père, en même temps qu'il revêt son humanité, à la fin, récupère un oeil, occasion d'un nouveau départ pour lui...
Ainsi, Kubo et l’armure magique apparaît comme un divertissement haut-de-gamme très complet, alliant tendresse et héroïsme, noirceur et humour, mais aussi comme un divertissement très mature. Avec ce chef-d'oeuvre, les studios Laika font une entrée triomphale dans la cour des grands...