« Tout ce que je vois, c’est une fausse promesse », dit Tai Lung à Po à un moment donné du film. Une réplique hors contexte qui pourtant sonnerait comme un aveu de faiblesse venant de ce quatrième opus. Ce n’est pas comme si les sagas animées se cassant la figure lors d’un quatrième tour de piste étaient chose peu commune. Il n’empêche, c’est frustrant que cela arrive à Kung Fu Panda, car ce nouvel opus, geste opportuniste des studios ou pas, avait du potentiel. La saga Kung Fu Panda, jusqu’ici d’une grande réussite constante, est un grand parcours initiatique pour le personnage de Po, constitué de petites étapes, chacune reflétée par un opus. Le premier opus est celui de l’initiation. Le deuxième, celui de la maîtrise de soi. Le troisième, celui de l’enseignement. Si la saga aurait pu en rester là, Kung Fu Panda 3 étant quasi unanimement considéré comme une conclusion naturelle (et un très bon film, par moi-même également), ce nouvel opus trouve une façon logique de rebondir sur ce qui a été semé. Car vient inévitablement, dans le parcours d’un guerrier, le moment du passage de relais. Po a été sélectionné par Oogway pour devenir le Guerrier Dragon ; celui-ci est désormais contraint lui-même de sélectionner la relève, avant d’accéder à l’étape supérieure. Si l’occasion paraît presque hâtive dans le voyage personnel de Po - cela dit, il a toujours appris vite - elle sonne intéressante, et cohérente avec la découverte / redécouverte constante du panda au fil des films.
Hélas, cela n’aura échappé qu'à peu de fans que la production de ce quatrième opus a été chaotique, comme l’a révélé la co-réalisatrice Stephanie Ma Stine lors d’une FAQ sur Reddit. Et ce gros bazar est absolument reflété par le résultat final avec lequel on se retrouve. Kung Fu Panda 4, sans être un mauvais film, est en constante crise d’identité, et facilement le plus superficiel des chapitres. Le réalisateur Mike Mitchell, pourtant consultant créatif sur le premier film et producteur exécutif sur le troisième, semble n’avoir gardé qu’une image primaire de la franchise. Car vouloir revenir à quelque chose de plus léger et comique est une chose, mais c’en est une autre de le faire avec un minimum de l’approfondissement cher à la saga même dans ses moments les plus insouciants. Rétrospectivement, Kung Fu Panda 4 ressemblerait plus à un épisode de série TV (avec tout mon respect aux épisodes de série TV), sur lequel on a agrafé au dernier moment de quoi suffisamment correspondre aux standards d’un long-métrage cinématographique. Ce qui ne serait pas autant agaçant s’il n’était pas censé être l’opus du passage de relais du légendaire Guerrier Dragon. Une étape pas forcément facile à encaisser pour le concerné, mais dont la consécration est une acceptation mature.
Une simple façon de voir les choses est que le traitement de Mike Mitchell est riche en idées prometteuses qui ne resteront qu’au stade des idées. Mitchell a publiquement annoncé qu’il voyait son film comme une lettre d’amour à destination du premier opus – une déclaration pas idiote en soi, car quoi de mieux pour un film forçant Po à designer son successeur que de nous remémorer là où lui-même a débuté son chemin initiatique contre toute attente. La franchise a toujours progressé par jeux de miroir entre ses opus, et l’on retrouve toujours de ça ici. Po, en prenant la chapardeuse Zhen sous son aile, nous rappelle les précieux enseignements de Maître Oogway – encourageant à voir le grand potentiel en quelque chose qui semble ne pas payer pas de mine, et à l’aider à le concrétiser (« si tu es prêt à le guider, à le nourrir, à croire en lui »). Les possibilités s’étoffent en injectant le milieu dans lequel Zhen a grandit, dont la règle principale est de ne faire confiance à personne, et la contraignant à ne pas changer pour le bien de sa survie. Inversement, la grande méchante du jour, la Caméléonne, symbolise le mauvais chemin que Po aurait pu emprunter à force de se heurter à des murs ; celle-ci ayant choisi la voie de la sorcellerie pour compenser le fait que personne ne voyait en elle le potentiel d’être une maître du kung fu, à cause de sa carrure. Une réflexion perspicace quand on se souvient des critiques initiales prises par Po, guerrier en devenir jugé par sa corpulence et sa taille, quand bien même dans cet univers, une mante religieuse peut devenir un maître puissant et respecté.
Malheureusement, toutes ces idées intéressantes demeurent à l’état embryonnaire. Le film ne s’attarde que peu sur tout cela, favorisant des dialogues et situations plus téléphonés à propos du changement inéluctable, qui peut toutefois apporter de bonnes choses. C’en est surprenant de voir un script aussi délibérément en surface malgré tout ce qui est servi sur un plateau d’argent – cela dit, cela correspond à ce que Stephanie Ma Stine signale à propos des scénaristes Jonathan Aibel et Glenn Berger, et leur apparente incompréhension de leur propre franchise. C’est une succession d’occasions manquées, et le rythme à toute berzingue ne facilite pas la tâche. L’alchimie entre Po et Zhen, pourtant plutôt attachante (évoquant le duo formé par un chevalier juste mais naïf et une force complètement chaotique dans Nimona), en fait les frais sur le plan narratif. Comme le film file à toute allure, on ne se retrouve jamais avec une scène prenant autant son temps, ou donnant l’impression de prendre son temps, que la conversation entre Po et Tigresse sur le bateau dans le deuxième film par exemple. Ce qui est le plus proche d’un tel développement introspectif a l’air inséré au forceps, une nouvelle fois fidèle aux problèmes de production soulevés par la co-réalisatrice (Zhen et la Caméléonne ayant été délibérément laissées sans développement à l'origine). Lorsque Zhen raconte son passé à Po, c’est tellement soudain à ce stade de leur chemin ensemble que l’effet voulu loupe le coche.
Globalement, le film manque cruellement de punch, tant au niveau des personnages que de l’émotion. La Caméléonne est une personnification parlante de ce défaut. Passer après tant de bons voire excellents méchants est déjà une tâche difficile. Mais le problème de la Caméléonne est qu’elle n’est ni écrite ni mise en scène de façon à vraiment provoquer quelque chose, malgré son puissant pouvoir. Les trois précédents vilains (même Kai !) savaient au moins rendre leur intention et leur passif palpables, quand la Caméléonne réduit tout cela à quelques lignes, et ce, une nouvelle fois, malgré son potentiel – changeant de forme pour adopter celle des grands maîtres du kung fu quand elle n’accepte pas la personne qu’elle est indépendamment de ces métamorphoses, cette personne refoulée et vue comme inapte à l’apprentissage de l’art martial. Plus frustrant encore, sa menace sur la Chine se ressent trop peu, le pire qu’elle fait est confiné à un périmètre réduit, au mieux c’est une légère répétition de Shen dans le deuxième film (ses sbires dépouillant les habitants de Juniper City). Y compris sur Po et même sur Zhen, la méchante se ressent trop peu comme une menace les mettant vraiment en danger. Un comble quand elle a le pouvoir de convoquer les grands adversaires du passé, ceux-ci réduits au rang de l’anecdote. L’usage de Tai Lung est un véritable gâchis et que dire des apparitions surprises qui non contentes de n’avoir que peu de sens sont là pour la figuration. C’est d’ailleurs confus de voir le royaume des esprits ici basiquement dépeint comme l’afterlife, purement et simplement. Ça réduit le cachet mystérieux de cet endroit et ça donne l’impression de la voie de facilité.
Ce qui fait bien défaut à l’entreprise menée par Mike Mitchell, c’est l’effet « waouh ». L’animation est incontestablement le point fort du film, mais la mise en scène ne la complémente pas autant que ce que les réalisateurs avant lui ont pu délivrer. L’effet de grandeur et les palettes de couleurs riches manquent tout particulièrement. Lorsque Po débarque à Juniper City, ce n’est guère rendu plus impressionnant que lorsque lui et les Cinq Cyclones arrivent à Gongmen City dans Kung Fu Panda 2, quand bien même le lieu est vu comme encore plus imposant à l’échelle de Po. Le film n’est pas dépourvu de décors intrigants, mais ils ne flattent pas tellement la rétine exécutés comme tel. Je trouve encore certaines chorégraphies plutôt bien troussées, notamment dans la scène inspirée où Po et Zhen se battent contre les clients et le personnel d’une taverne installée au bord d’une falaise. Il y a d’autres occasions où le film se réveille, mais c’est trop sporadique. La promesse d’une bataille d’armées entraperçue dans la bande-annonce est elle-même réduite à deux pauvres minutes portées par une clique également victime de la superficialité globale. Le film (comme le spectateur) ne s’intéresse guère à eux, autrement qu’en accordant trop de crédit à trois insupportables lapins assoiffés de violence – représentatifs d’une sous-catégorie de sidekicks que l’on nommera « gags sur pattes », apporter de l’humour toutes les trois minutes étant leur seule et unique fonction.
Pour autant, est-ce que Kung Fu Panda 4 est un mauvais film ? Non. Il demeure un divertissement tout à fait correct, tout bien considéré. Po est toujours ce gros benêt geek attachant, l’action fonctionne bien, Hans Zimmer répond présent (bien que je regrette toujours la contribution de John Powell, sans lui, le boulot de Zimmer semble moins transcendant) et l’humour fait globalement le job - bien que de temps en temps plus simpliste. Mais ce qui est correct aurait pu devenir tellement meilleur. Personnages, exploitation des thématiques, usage des contextes, réflexion des précédents opus pour que cette étape du chemin initiatique de Po marque plus encore… Que des choses qui manquent à l’appel, pour un résultat final sans envolée. Le charme de la saga n’est pas complètement absent ; simplement réduit au strict minimum, comme en pilote automatique. Ce qui est d’autant plus regrettable.