Il ne devait y avoir qu’une date de sortie unique dans chaque pays du 4 au 12 mai. En France, c’était le lundi 4 mai. Mais après des mois de teasing, 18 000 spectateurs étaient au rendez-vous, et face au succès d’autres séances furent programmées dans quelques rares cinémas.
C’est une de ces dates supplémentaires que je parvins à réserver.
“I’m Kurt Cobain!”
Et ce fut… ce fut une avalanche auditive, visuelles, émotionnelle presque accablante. Impossible d’en parler sans un deuxième visionnage.
Mélange de rushs, de lives, de vidéos personnelles et autres bijoux secrets ; d’animations illustrant les histoires contées par la voix de Cobain ; de textes et de dessins issus des carnets de Kurt, virtuosement mis en musiques par un fantastique travail sur le son.
A cet entrelacs presque onirique se mêlent des interviews plus terre à terre, celles des proches d’entre les proche de Cobain : selon le réalisateur Brett Morgen, ce sont les seules les personnes qui se seraient rendues à son enterrement s’il était mort gardien de nuit, son dernier petit boulot. Il y a sa mère, sa sœur, son père, sa belle-mère, Krist Novoselic, son ancienne petite amie Tracy, et, exceptionnellement, Courtney Love. Mais là où Tracy seule écrivait à Kurt des mots d’amour, c’est Kurt qui écrira à Courtney d’étranges vers enflammés auxquels elle rendra la pareille.
Pour justifier l’absence notable (et regrettable) de Dave Grohl, le réalisateur explique que Grohl aurait en réalité bien été interviewé, mais qu’il était déjà trop tard pour inclure son témoignage dans le montage final.
“It’s not my fault. I’ve never wanted the fame.”
Enfin un film sur Cobain.
Pas sur sa mort, pas sur son œuvre, sur la personne qu’il était.
Un film qui montre ses excès, sans les idéaliser pour coller au mythe de la rock star junkie névrosée, et sans non plus les dramatiser à la manière des tabloïds ; un film tentant simplement de saisir « l’homme derrière Nirvana », y compris ses failles.
La formation du groupe, leur évolution artistique et de carrière, leurs concerts, leurs albums, tout cela n’est que sommairement évoqué durant ces 2h15 de film. Et pourtant, les minutes filent lorsqu’on est plongé dans le monde hurlant de Kurt.
“It’s all in the music man!”
Montage of Heck, c’est d’abord le nom du montage audio réalisé par Kurt sur la cassette numéro 58, perdue parmi cent autres au milieu des affaires de l’icône entreposées dans un garage anonyme. C’est ce trésor enfermé dans des cartons pendant un quart de siècle que Brett Morgen récupérera et qui sera le matériel principal de son film. Et cette cassette numéro 58, il l’écoutera par hasard en la piochant au milieu des maquettes de fœtus, des toiles torturées, et des carnets aux gribouillages morbides, écrits hâtivement comme dans l’urgence d’une vérité oppressante.
Ce contenu certes insolite est en vérité la plus personnelle et incongrue des autobiographies de Cobain. Car avant d’être un des, sinon l’artiste le plus influent de sa génération, Kurt est avant tout humain, rongé de doutes, de failles remontant à l’enfance. Peur de la honte d’abord. “Kurt hated being humiliated. He hated it” dira Krist Novoselic.
Et une peur plus grande encore, celle de l’abandon. Chez cet ancien enfant roi ayant vu ses parents divorcer, puis ayant été rejeté par sa propre famille, il découlera un désir irrépressible de famille idéale, soudée et aimante. Il tentera même de se suicider après que Courtney ait ne serait-ce que songé à le tromper.
On a aussi du mal à croire que celui qui s’infligeait autant de mal ait pu être aussi violent envers les autres alors qu’il était plus jeune, jetant ses sœurs hors de la maison durant des crises de colère.
“I’m gonna get 3 millions dollars and then I’m gonna be a junkie.”
N’ayant jamais été tournées pour être un jour visionnées par le public, certaines vidéos personnelles sont une invasion directe dans la vie privée, particulièrement celles prises dans l’appartement que Kurt partageait avec Courtney et leur fille Frances. L’humour et la déchéance s’y côtoient ; certaines scènes font peine à voir et rappelleraient presque Candy ; d’autres sont lumineuses.
A un tel niveau de proximité, le spectateur dépasse le stade du voyeurisme.
“I feel like people want me to die because it would fit the classic rock story.”
Le principal compliment qu’on peut adresser à ce film, c’est la manière dont il élude le suicide Cobain. Trop de choses ont déjà été dites, inventées, fantasmées à ce sujet.
De par les quelques phrases distillées au grès des interviews, on comprend cependant que seul Krist Novoselic exprime encore une réelle culpabilité, celle de ne pas avoir pu empêcher le geste de son ami. Il dira d’ailleurs par la suite que ce film l’a aidé à « guérir ». La mère rejette la faute sur le père. La belle-mère de Kurt, celle-là même qu’il qualifiait de “wicked”, blâme elle la famille l’ayant rejeté. La sœur, elle, met le suicide de son frère sur le compte de son cerveau génial (et donc torturé) d’artiste, ayant trop longtemps bouillonné dans la ville morne d’Aberdeen.
Au final, l’héroïne, le succès ingérable, la pression médiatique, n’ont été que des déclencheurs malheureux.
Tout était déjà là, incubé. Avant le fusil, la drogue, les médicaments, il y avait eu le train.
En 1994, seul le premier cependant réussit à prendre la vie de Kurt Donald Cobain, 27 ans, né à Seattle.
“Nothing’s gonna save me, it goes without saying.”
-« Qu’est-ce que tu fais ce soir ? »
-« Ce soir je peux pas, je vais voir un docu sur Kurt Cobain. »
C’est limite si je ne lui épelle pas le mot rien qu’en le prononçant mais je vois bien qu’elle ne comprend pas. Je vais l’aider.
« Oui, parce que tu sais, Nirvana ça doit gérer au ciné. »
Elle me retourne le même regard vide.
« Le chanteur. Kurt Cobain, le chanteur de Nirvana. Tu connais c’est sûr. »
Et elle, obligeamment, hoche la tête aux premiers accords de Come as you are quand je dégaine mon portable de ma poche pour lui faire écouter.
Non, il est évident que cette fille ne connait pas Kurt. Mais avant ce film, je me rends compte que je ne connaissais pas non plus. Pas vraiment.
Alors on est quitte. Ou presque.
La critique de Yyrkoon : “If we get popular or not it doesn’t matter……The music is more important.”
Comment le cinéma voit Cobain?