C'est sans doute un peu idiot à dire mais l'histoire racontée dans Kyoto aurait probablement été teintée de mièvrerie ou de banalité si elle avait développée dans le cadre d'à peu près n'importe quel autre cinéma que le japonais. C'est une interrogation récurrente, et il me semble que dans beaucoup de cas c'est là où le mélodrame familial trouve son plus bel écrin, le plus à même de faire passer les émotions avec suffisamment de subtilité et de vigueur pour ne pas tomber dans les travers de la posture, de l'épanchement sentimental, de l'inintelligible, ou du lieu commun.
Shima Iwashita (connue chez Kobayashi, Gosha, ou encore Ozu, excusez du peu) incarne un rôle double : deux jumelles orphelines, Chieko et Naeko, ignorantes l'une de l'autre jusqu'à leur rencontre fortuite dans la rue. Un événement déclencheur d'un grand malaise existentiel et de révélations en cascade qui remueront la terre du passé, jusqu'à cette fois où durant leur enfance, elles avaient été placées dans des familles adoptives différentes — séparées car, selon certaines croyances, des jumelles sont un mauvais présage. L'actrice incarne ainsi les deux sœurs en même temps, y compris au sein de séquences en split-screen caché (à une époque où la technologie ne permettait rien d'autre pour faire figurer deux fois la même personne dans le même plan) sans qu'on ne puisse détecter quoi que ce soit. Dans le rôle d'un père adoptif, on remarque la tête bien connue de Seiji Miyaguchi, un habitué de Kurosawa, mais aussi chez Imamura et Ozu.
Dans la peinture des milieux sociaux qui creusent les différences entre les deux sœurs, on trouve une thématique qui fait beaucoup penser à Ozu, justement, avec quelques influences européennes — les références au peintre suisso-allemand Paul Klee sont récurrentes. Les liens de parenté se démêlent ainsi petit à petit, autour du magasin de soie que tiennent les parents de celle en proie à de grands doutes existentiels : elle pensait pendant longtemps que ses parents actuels l'avaient enlevée alors que c'était ses anciens parents qui l'avaient abandonnée. Les prémices d'une crise identitaire sont là, alimentées par le choix qui s'impose à elle : poursuivre le commerce de ses parents où s'envoler à l'extérieur pour se marier. L'occasion pour Noboru Nakamura de proposer quelques esquisses de Kyoto, côté ville et côté campagne, selon un rythme et des couleurs qui oscillent au gré des saisons. Un mélodrame sans effusion.
http://je-mattarde.com/index.php?post/Kyoto-de-Noboru-Nakamura-1963