Il y a des cendres qui refusent de s’éteindre. Des flammes que l’on croit éteintes et qui, sous la surface, continuent de couver. L’Acier a coulé dans nos veines de Thierry Michel et Christine Pireaux est un film de mémoire et de fer, une chronique ardente d’un monde que l’on a cru pouvoir réduire au silence sous les gravats des haut fourneau effondré ou démantelé.
Le film s’ouvre sur l’image saisissante du haut fourneau HF6, démantelé en décembre 2016 à Seraing. Un monument s’effondre, et avec lui, des décennies de luttes ouvrières, de sueur et de camaraderie. Pourtant, ce n’est pas seulement une ruine qui nous est donnée à voir, mais une résurgence. Car L’Acier a coulé dans nos veines ne s’attarde pas dans les limbes du regret ; il capte l'ardeur ouvrière qui refuse de s’évanouir.
Ensuite, les réalisateurs tracent le fil de l’histoire sidérurgique liégeoise, des jours de gloire aux lendemains désenchantés, des grandes coulées d’acier aux ultimes révoltes ouvrières. À travers des images d’archives et des témoignages empreints de dignité, le documentaire exhume un passé qui pèse encore sur le présent. Ces récits ne sont pas ceux d’une simple industrie, mais d’une identité façonnée dans la chaleur des forges.
Loin de la froideur d’un bilan économique, le film épouse la mémoire intime de ceux qui ont donné leur vie à l’acier. Chaque visage, chaque voix porte l’empreinte d’un combat : celui d’ouvriers qui n’ont jamais été de simples exécutants, mais des gardiens d’un savoir-faire.
Il y a, dans la mise en scène de Michel et Pireaux, une approche presque sensorielle de la sidérurgie. Les plans se resserrent sur les visages burinés par le labeur, sur les mains marquées par le poids des outils. La caméra capte la beauté brute des coulées de métal en fusion, mais aussi la rudesse des gestes et la cadence des machines.
Mais L’Acier a coulé dans nos veines ne se contente pas de dresser l’inventaire d’un monde perdu. Ce documentaire est un refus du néant, un acte de transmission. Il ne se veut ni neutre ni détaché. Il embrasse son engagement, préférant la ferveur au recul analytique, le chant des ouvriers à la froideur des statistiques. Cette subjectivité assumée fait sa force autant que sa limite : elle donne au film son souffle, sa puissance émotionnelle, mais occulte parfois une lecture plus distanciée des enjeux économiques et industriels.
Et pourtant, en regardant ces visages, en écoutant ces voix, il est impossible de ne pas être saisi.