Un piaf dans l'arène pour sa danse funèbre
Il y a de belles intentions dans le film de Mocky. On y sent une farouche envie de prendre les armes par l’image et dénoncer les inégalités sociales qui ravagent nos sociétés modernes. Le pouvoir est aux mains de personnes intéressées, qui ne s’en saisissent que pour le plaisir que ça leur procure. Quand l’un des hommes politiques représentant les hautes sphères de l’état se laisse aller à penser oralement que le pouvoir, c’est être dans un état de jouissance, 24h/24, on comprend effectivement la métaphore et le propos que martèle Jean-Pierre Mocky dans l’Albatros.
Propos qu’il véhicule à travers les yeux d’un bagnard en fuite, victime devenue agresseur attentionné qui n’aspire qu’être lui-même, ne serait-ce que 10 minutes plutôt qu’incarner un autre toute sa vie, enfermé entre 4 murs. Encore une fois, le propos est louable, mais de même que le portrait politique est énoncé à la masse d’arme, le message est beaucoup trop forcé. Pourtant il y a dans l’Albatros une vive honnêteté qui force la sympathie. Y transpire la volonté de Mocky de proposer un polar engagé, avec les moyens dont il dispose, sans ménager ses efforts. Au menu, course-poursuites généreuses (bon ça vole pas haut niveau mise en scène mais l’intention est là), des dialogues qui font mouche et surtout une belle séquence d’ouverture portée par une bande son enivrante. L’ambiance poisseuse des 10 premières minutes est une entrée en matière très prometteuse qui fait monter le potard labélisé « vivement la suite» dans le rouge.
Mais l’excitation est de courte durée, tout se cassant la binette lorsque les acteurs se mettent à parler. Mocky, en lead, est en peine à chaque ligne de texte, et tout autour de lui, c’est du récital de casting plutôt que de réelles interprétations. A tel point que l’Albatros finit par perdre de l’altitude : à force d’accumuler les scènes qui ne sortent de nulle part, pour remuer l’homme peu farouche au fond de son siège, il finit par déconnecter ce dernier du propos qu’il déroule. Entre la scène de viol en plein sous bois, gratuite au possible, le passage chez le pharmacien complètement surréaliste, et le personnage de la jeune fille à papa, qui en a plus dans le caleçon qu’un GI en planque depuis 3 mois, on finit même par jouer, signe d’agacement, des 4 doigts sur l’accoudoir. Alors quand Mocky pousse le bouchon jusqu’à gratiner le tout d’un syndrome de Stockholm foudroyant, lequel se finit en haut d’une tour pour un jeu son et lumière (magique !) sans aucun intérêt sinon celui de continuer à alimenter l’âme rebelle du film, on vide ses poumons de désespoir.
En bref, une première entrée dans le cinoche de Jean-Pierre Mocky accompagnée par le clairon de la défaite. Tout n’y est pas manqué, j’en retiens une farouche soif revendicatrice ainsi qu’une fougue de chaque instant qui s’embarrasse que très peu du politiquement correct. Mais tout cela est beaucoup trop ampoulé par une mise en œuvre formelle chaotique, des acteurs qui surjouent en permanence et un laisser-aller trop facile à la scène choc qui n’apporte aucune eau au moulin. Et puis, quand je consulte ma montre alors que le film dure moins d’1h30, c’est qu’il y a un souci quelque part.