Le gros plan initial de L’amant double cherche le même effet choc que celui qui ouvrait Mise à mort du cerf sacré : là où ce dernier montrait une opération à cœur ouvert, Ozon nous offre un vagin dilaté par un speculum, suivi d’un raccord dans lequel la fente de la vulve devient celle de l’œil de la protagoniste.


Nous sommes dès lors prévenus. Ce prisme aussi audacieux qu’amusé, cette référence à Buñuel est à prendre comme un discours de la méthode.


La première partie peut néanmoins nous en faire oublier les contours, magistrale dans sa maitrise, fondée sur les ellipses et une fascination pour le personnage de Marine Vatch, magnétique comme elle avait pu l’air lors de son acte de naissance au cinéma, déjà sous le regard clinique d’Ozon dans Jeune et Jolie. La jeune fille a muri, les questions demeurent, et notamment celle d’une frigidité épousée par la mise en scène. Le formalisme presque précieux des premiers dialogues fonctionne, parce qu’il instaure un jeu qui laisse clairement comprendre qu’il va falloir dépasser les apparences.
La photographie, le cadre, l’ample musique de **Philippe Romb**i entrent en résonance avec la protagoniste, notamment dans un superbe travail sur les espaces : ceux des bureaux des thérapeutes, saturés de miroirs et de façades amovibles, mais aussi et surtout du musée dans lequel travaille Chloé. C’est là l’occasion pour le cinéaste de poser son personnage en œuvre singulière, au milieu d’installations d’art contemporain toute plus fascinantes les unes que les autres.


Mais qui connait Ozon sait qu’il n’en restera pas là. Une fois le pouvoir de séduction établi, les règles vont changer : il suffit de voir le changement de regard de Chloé lorsqu’elle embrasse Paul pour le comprendre. L’Amant Double nous convie ainsi à une gradation que ne renierait pas De Palma, réflexion retorse sur la gémellité, labyrinthe de cauchemars et usine à fantasmes en tous genres.


On peut établir quelques passerelles avec le Black Swan de Darren Aronofsky : l’immersion dans une psyché retorse qui permettrait de justifier ce qui peut sembler gratuit au premier abord. C’est certes un peu facile, mais pour peu qu’on laisse la machine s’emballer, la fascination laisse place au rire face à l’audace du scénariste, qui ne recule devant aucune ficelle.
C’est là le double tranchant de son film : en dépassant les façades rutilantes de son personnage, en auscultant à corps ouvert ses tourments intérieurs, il rompt le charme le plus puissant, qui était de l’ordre de l’indicible. La dernière partie, et surtout l’épilogue explicatif, un peu bavards (défauts assez récurrents dans les films d’Ozon, et qu’il était parvenu à surmonter avec brio dans Jeune & Jolie), émoussent ainsi bien des pouvoirs promis par les premières séquences.


Ozon s’amuse : à la manière de son personnage, qui affirme à son thérapeute : « Quand vous me regardez comme ça, je me dis que j’existe », il cherche à faire vaciller l’indifférence du spectateur : la fascination, le rire, voire l’indignation : tous les moyens sont bons pour faire exister sa mécanique malicieuse.

Sergent_Pepper
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le 26 mai 2017

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