Là où Kieslowki brille, dans "Le décalogue", c'est dans sa capacité à donner vie à des idées à travers des histoires et des personnages. Animer, faire vivre des concepts. Dans "Amator" encore une fois, le talent du réalisateur polonais s'exprime, incisif, doux amer, avec un humour bienveillant, en montrant comment une caméra 8mm peut détruire (en un an chrono) une jeune famille simple et heureuse. Le pouvoir de l'image, les responsabilités du réalisateur, les pressions également qui entourent un film et la manière dont celui-ci peut vous échapper : à travers le naïf Filip (admirable Jerzy Stuhr) passent toutes ces préoccupations.
Si le film dévoile sûrement un peu vite ses intentions, l'équilibre entre satire mordante et chronique sociale rythme les presque deux heures. Il faut voir Filip, obsédé par sa nouvelle passion, que sa femme est entrain de quitter, et qui la cadre avec ses doigts en ce moment tragique pour chercher le plan idéal... Drôle et consternant, cette scène condense une partie des enjeux du film mais apparaît presque comme un commentaire (en trop) de l'auteur. Un dialogue, quelques minutes auparavant, montre bien le cynisme de Kieslowski (qui serait tout le contraire de son personnage, rêveur un peu paumé - et dans ce contraste il y a de la tendresse) ; dans les bureaux de la télévision polonaise, un producteur lui demande : "Vous ne vous prenez pas pour un artiste au moins ?" (contrechamp sur Filip, hésitant), "bon, Dieu merci" conclut le producteur.
Et pourtant, malgré les tacles ici et là, on jurerait qu'il y a une part autobiographique dans ce film attachant qui parle aux cinéphiles que nous sommes.