[Critique contenant des spoils]
Lorsqu'on s'installe quelques mois en pleine montagne pour réaliser un film, on a toutes les chances de ramener des images à couper le souffle : car la montagne, c'est beau. De ce point de vue, L'âme-soeur est au rendez-vous : bon nombre de plans laissent pantois d'admiration.
Dans ce cadre somptueux, Fredi M. Murer choisit de nous conter une histoire singulière : la relation incestueuse qui va s'établir entre Belli et son jeune frère, un sourd-muet vaguement simplet - d'où le titre de cette chronique. Comme souvent les personnes atteintes de ce type de handicap, Le Bouebe (quel nom étrange !) est aussi très attachant. Son père lui passe toujours les dégâts qu'il cause, sa mère aussi finit par être indulgente à son égard. Quant à sa soeur, elle développe franchement un sentiment amoureux envers lui.
L'originalité du film, c'est d'exprimer cela à travers les gestes du quotidien à la ferme : le travail, les jeux, la visite aux grand-parents ; et les soirées où il n'y a pas grand chose à faire, rythmées par le tic tac de l'horloge (suisse). Lorsque Belli place la main de son frère sur son sein, on commence à soupçonner ce qui va se produire. La transgression sera filmée avec une certaine pudeur.
Montrer cela sans l'once d'un effet mélodramatique, tel est le choix, singulier, du cinéaste. Plastiquement, c'est parfois assez beau, au-delà du cadre naturel que nous avons évoqué : une fenêtre à plusieurs cadres qui donne dehors ; des cairns placés devant un cirque de montagne ; un miroir tenu par Le Bouebe dans lequel se reflète Belli, donnant l'impression que sa soeur est entrée en lui ; les visages des deux morts dans leur tombe sous la neige éclairés. La loupe chérie du sourd-muet, qui lui permet de se créer son propre monde, est intelligemment utilisée également. Il y a aussi les scènes où Le Bouebe joue avec les cochons, avec une aisance, une familiarité qui font envie et permettent de ressentir la fascination qu'il exerce sur son entourage : car ce garçon n'est pas entravé par le surmoi du commun des mortels, qui dicte "ce qui se fait" et "ce qui ne se fait pas".
Oui. Mais malgré ces quelques pépites à se mettre sous la dent, il faut l'avouer : les deux heures passent terriblement lentement. Le film peine à captiver. Peut-être le prix à payer du part pris artistique de Fredi M. Murer : être au plus près de la "vraie vie" à la montagne, rythmée par des petits riens, qui n'offrent pas de ressort dramatique. On finit par entrer dans ce caractère naturaliste, et la scène de l'inceste apparaît soudain presque comme un événement comme un autre. Quelque chose de "naturel".
La démarche est audacieuse, et c'est à cela qu'on reconnaît le "film d'auteur" pour répondre à l'une des plumes de SC qui s'est exprimé sur ce film. Cela n'empêche pas le film d'être assez "chiant". Il n'est pas chiant parce que film d'auteur, mais bien que film d'auteur. Pour moi, ce sont généralement les blockbusters qui sont "chiants". Mais il en faut pour tous les goûts...
Comme nombre de productions estampillées "d'auteur", cette Ame-soeur est un film qu'on prend peut-être plus de plaisir à se remémorer qu'on en a eu à le regarder. Un peu rude, mais long en bouche.