Il faut sans doute avoir un léger grain de folie pour chercher à apprécier l’œuvre de Bokanowski tant cette dernière se révèle dure (éprouvante) à suivre, surtout sur la longueur. Durant les premières minutes du film, nous verrons un sabreur maltraiter une poupée dans une pièce vide et sombre. Il n’y aura rien de plus. Ce qui fait la particularité de l’Ange, c’est le montage totalement expérimental. Bokanowski varie régulièrement les plans de son mystérieux bretteur, et s’amuse beaucoup avec en salle de montage. Ralentissement des actions, découpage stroboscopique, variations lumineuses, gros plans accélérés, superposition de plusieurs plans… Un véritable catalogue de procédés visuels datant de la grande époque de la pellicule, qui vise une contemplation longue d’une action banale répétée à l’infinie, dont la répétition, selon les techniques, laisse parfois apparaître des plans d’une beauté troublante. Bokanowski va au-delà de tout message. Comme sur sa femme qui se poudre, après l’épanouissement visuel (encore faut-il aimer l’esthétique expérimentale), c’est l’ambiance particulière qui façonne l’impression du spectateur. Accompagné ici d’un simple violoncelle qui semble lui aussi expérimenter en live sa partition, le spectateur a l’impression d’assister à une scène étrange. Une sorte de torture porn sous acide dont la répétition des mauvais traitements viserait à rendre folle la victime (ici, une poupée). Que l’absence de vie rend éternelle, et constamment à la merci du vil épéiste masqué, plus proche d’un leatherface que du masque de fer… Puis de nouveaux personnages apparaissent, et le film se met alors à suivre une foule de nouveaux protagonistes, tous masqués d’argile. C’est alors une véritable société que se met à filmer Bokanowski, des scènes quotidiennes toujours soumises à la folie visuelle de son auteur, qui trouve dans le contexte du XVIIIème une ambiance vraiment particulière, à cheval sur la reconstitution historique et l’expérimentation visuelle (avec une séquence comme la reconstitution d’une expérience optique avec les instruments de l’époque et la fièvre visuelle de l’auteur). Il y a une impression de steam punk par endroits, sans les détails techno-mécaniques qui font la marque incontestable du genre. Incontestablement, l’Ange est une œuvre qui ne cesse d’évoluer, avec, ponctuellement, cette fascination pour les silhouettes (les plans en extérieur) qui apparaissait dans La femme qui se poudre. Bokanowski fait de l’expérimental gratuit, mais il expérimente en prenant soin de varier régulièrement ses plans, et d’enrichir toujours son univers esthétique par de nouvelles séquences (celle du pichet, la toilette, la bibliothèque…) qui pose pendant quelques minutes une réelle ambiance. Une pure œuvre d’esthète, sans énigme, dont chaque image pourrait être un tableau.