Avec L'Anglaise et le Duc, Rohmer s'égaille d'adresse : dans un parler abondant comme à l'usuel d'exquises locutions ; dans une direction d'acteurs dont le soin, de bout en bout, s'astreint à souligner d'humanité les traits de ces protagonistes souvent fieffés ; et dans une mise-en-scène tatillonne sur le détail, sincère quant à ce qu'elle prend à charge de nous montrer, force est de constater que l'on ressent moult plaisir à la maîtrise d'un plateau dûment géré.
Car le bougre n'est génial que par cette exaltation de l'artiste possesseur, jusqu'à ses propres fins, de ses propres moyens. Se sachant libre de concevoir une œuvre à la mesure de ses passions, il ne commet point la sottise de s'aller vautrer au mitan des grandiloquences à gros budget. De même, nous agréerons, en lieu de cité vieillotte, une toile de Jean-Baptiste Marot. Pour clameur révolutionnaire, il suffira de prêter oreille au maigrelet Ah, ça ira, ça ira, ça ira, entonné par quelque vocaliste de ruelle. Et l'exécution de Louis XVI se passera d'image en une scène autrement évocatrice que l'anodine démonstration des décapitations populaires. Cela va de soi, rien n'appert plus naturel qu'une telle restriction du champ spectaculaire. Aussi, sans assister à une représentation dite vériste ou conforme d'un Paris assailli de culottés Sans-culottes, nous autres, spectateurs, nous accommodons plutôt de la falsification assumée, des omissions volontaires, de l'austérité que suent les visages anxieux, de la douceur qui imprègne les figures paisibles - du réel magnifié, du réel affirmé, du réel avivé. Non à travers l'arpentement ad nauseam d'un décor d'époque, lequel tient davantage ici de la subtile immensité des tableaux de maître, mais au moyen d'êtres brillamment conçus, de comédiens savamment dirigés, à l'écart de tous les archétypes que nombre de scénaristes flemmards s'accaparent comme d'un parangon de virtuosité pour nous les canonner.
C'est là don d'une extrême obligeance filmique que nous offre l'immense Éric Rohmer.
Jetez-vous-y presto. Vraiment.