Dernier film de la trilogie de l'apocalypse de Carpenter (avec The Thing et Prince of Darkness), In The Mouth of Madness est tout simplement le meilleur film "lovecraftien" à ce jour!
Tout le film est un hommage à Lovecraft (et dans une moindre mesure à des auteurs populaire d'horreur comme Stephen King, Richard Matheson, Dean koontz, Ray Bradbury, Robert bloch,...). Écrire l'indicible, c'est déjà pas facile, mais alors le filmer, bonjour la prise de tête. Carpenter y parvient parfaitement, aidé par l'excellent jeu de Sam Neil qui nous fait rentrer facilement dans cette histoire d'écrivain d'horreur auteur de best-sellers qui a disparu et qu'un enquêteur cartésien spécialiste des entourloupes en tout genre est chargé de retrouver.
En s'inscrivant dans la filiation de Lovecraft, Carpenter suit la logique interne du maître de Providence et pose la question qui a hanté l'auteur, et va hanter ce film, comme l'esprit du spectateur à la suite de son visionnage: Qu'est-ce que la réalité? Et question plus effrayante encore qui amène le film de Big John sur le terrain de l'horreur existentielle: Qui écrit la réalité?
Alors oui, vous allez vous demander si je ne suis pas devenu un peu barjo, mais pourtant, c'est une évidence: notre réalité a bel et bien été écrite par des tas de gens, dont certains étaient particulièrement délirants, et ce haut niveau de délire contenu dans leurs écrits n'a pas empêché que les dis écrits deviennent une réalité telle que beaucoup basent l'entièreté de leur comportement ou de leur morale sur cette réalité fantasmée.
Bien sûr on peut y voir les écrits religieux (et Lovecraft ne fait jamais qu'emprunter une partie de son style, du rythme de ses phrases àla Bible, faisant ressembler certains passages à de longues litanies) remplis de miracles comme de dangereux fléaux envoyés par d'étranges entités incompréhensibles, mais il en va de même pour la politique, l'économie ou toute autre expérience de pensée humaine qui se base sur une forme de consensus; d'une acceptation collective d'une certaine réalité. Sutter Cane ne fait que poser des mots sur une page, mais en faisant cela, il n'écrit pas que des mots, il réécrit la réalité toute entière. Il n'est pas différent de Marx, Nietzche, Smith, Kant, Hegel, Friedman et Hayek (les Satanas et Diabolo de l'économie de marché), Keynes, Machiavel, ... Comme d'ailleurs les écrivains de pure fiction qui ont eux aussi façonnés pas mal d'idées
Le film de Carpenter va aussi y ajouter une couche d'horreur supplémentaire en questionnant l'idée même de libre arbitre. Sommes nous libre de nos décisions ou ne sommes nous que les jouets de ceux qui écrivent la réalité? Et eux même sont-ils libres de ce qu'ils font et écrivent ou ne sont-ils également, à l'image de Sutter Cane, que le jouet de forces qui les dépassent ? Chacun n'étant après tout que la résultante d'une longue suite de hasards dans laquelle les notions de mérite ou de liberté de choix n'ont au fond que très peu de place.
La neurologie, et la neuropsychologie tendraient à confirmer cette surévaluation du libre arbitre chez les humains, puisqu'il semblerait que le centre de prise de décision soit ailleurs que dans le néo-cortex, qui, au fond, ne fait que trouver des justifications rationnelles à des prises de décisions posées à priori (même s'il semblerait que l'illusion de l’existence de ce libre arbitre change quand même les choses, ce qui n'est pas sans ironie et aurait beaucoup plu à Lovecraft, la fiction venant soutenir la réalité en quelque sorte).
Le film questionne également l'idée même de la culture de masse en l'assimilant à de la propagande. Face à l'engouement planétaire pour Sutter Cane, il n'y a aucun échappatoire. Et Carpenter de conclure son film, non sans une certaine ironie, en assimilant le cinéma lui même à l'outiil de propagande ultime (ce qui s'avère doublement ironique pour un film en particulier qui a été un petit flop , et un cinéaste en général qui a essuyé durant sa carrière pas mal d'échecs lors de la sortie de ses films au cinéma).
Le film de Carpenter est donc bien plus profond, vertigineux et surtout bien plus effrayant dans ce qu'il suggère qu'il n'y parait.
Mais vu que c'est Big John, il n'en oublie jamais d'être extrêmement fun à regarder. On ne le remerciera jamais assez pour sa générosité.
Tout cela fait que c'est un incontournable de l'horreur moderne.
Il est difficile de dire que c'est un des meilleurs films de John Carpenter, car le bonhomme a fait au moins huit films qui sont des classiques absolus du genre et bien sûr In The Mouth of Madness est l'un d'entre eux. A mon sens, il se place juste sous The Thing dans la filmographie de Big John.
Sans rien spoiler, la fin est juste géniale.