Cette critique fait partie de la liste "John Carpenter: The Prince of Darkness"
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Années 80.
Michael De Luca est un scénariste travaillant pour la télé (quelques épisodes de Freddy's Nightmares, après avoir écrit une adaptation du Lawnmover Man du King, pour un court métrage) et traine un scénario s'inspirant des récits de H.P Lovecraft, qu'il rêve d'offrir à John Carpenter.
Donc, prenant son courage à deux mains, De Luca le propose donc à Big John...qui s'empresse de décliner l'offre.
Selon Carpenter, le film demande une technologie bien trop chère, pour matérialiser les quelques scènes qui demanderaient des effets visuels convaincants (ILM étant le leader du marché, mais pas encore accessible financièrement), d'autant plus que Carpenter est encore dans sa phase "film indépendant" à faibles budgets, depuis l'échec retentissant de Big Trouble in Little China...
Bref, De Luca repart avec son script sous les bras et en profite pour l'améliorer.
1989.
Il approche Tony Randell (Hellbound: Hellraiser II) puis Mary Lambert (qui vient juste de sortir son Pet Sematary, d'après le King en personne).
Mais cela n'aboutit à rien.
Décembre 1992.
De Luca (persévérant) rencontre à nouveau Carpenter, qui cette fois accepte le projet.
En effet, les modifications du scripts aidants, ainsi qu'un tarif revu à la baisse de la part d'ILM (avec qui Carpenter et Warner avaient collaborés sur Memoirs of Invisible Man, cette même année 92), incite Big John a enfin se lancer dans l'aventure .
Le tournage débute en Avril 93 (avec une enveloppe budgétaire de 8M$, soit 5 fois moins que le budget de son dernier film)
Lors de sa sortie en 1995, le film couvrira à peine ses frais sur le territoire US, confirmant que Carpenter n'a toujours pas la cote...
Qu'en est-il du film?
In the Mouth of Madness est l'un des meilleurs long métrages de Big John et bénéficie d'un scénario tellement Carpentérien que c'est assez incroyable de se dire qu'il est dû au scénariste de Freddy's Dead...
Plongée vertigineuse dans un concept de "nouvelle réalité", le film nous entraine littéralement dans celle créée par Sutter Cane (Jürgen Prochnow).
Le début du film de Carpenter (
en fait sa fin, en tant que fiction mais aussi dans cette seconde réalité entérinée par Sutter Cane
) nous montre donc un John Trent (Sam Neil) interné dans une cellule d'un hôpital psychiatrique.
Il raconte alors au Dr Wrenn (David Warner) la raison de sa présence en ce lieu.
Wrenn est sceptique.
Mais John Trent n'est pas fou.
C'est le monde qui l'est devenu...
Trent se retrouve dans la situation "Un livre dont vous êtes le héros" et il suit donc un schéma narratif totalement tracé par Sutter Cane.
Styles (Julie Carmen) est aussi logée à la même enseigne,
mais est capable de prédire l'avenir de Trent (et du film même) car elle a lu la fin d'In the Mouth
...
Au fur et à mesure de la progression du récit, des indices mènent à la conclusion
(la réalité de Cane devenant la nôtre
) et ce, dès le générique d'ouverture.
En effet, l'on y voit une presse rotative imprimer le dernier ouvrage de Cane, ce qui veut dire que le monde réel a déjà basculé et que le Trent du début sait déjà comment tout va finir
.
La scène de l'agent artistique de l'écrivain qui tente de tuer Trent au resto,
révèle que l'homme sait par avance que c'est Trent qui livrera le manuscrit d'In the Mouth..., précipitant l'Apocalypse des Grands Anciens
.
Meilleure allusion filmique au travail de Lovecraft, dont voici quelques clins d’œils:
- la maison d'édition de Cane s'appelle Arcane -phonétiquement très proche de Arkham, ville fictionnelle créée par l'auteur,
-le Pickman's Hotel inspiré par la nouvelle Pickman's Model,
-l'apparence des monstres antédiluviens,
-Sutter Cane est grandement inspiré de Lovecraft (pour la création d'une mythologie originale),
-et la meilleure coïncidence, c'est le fait que la Cathédrale de la Transfiguration vu dans le film, est située dans la ville de...Markham, dans l'Ohio!
Mais In the Mouth... n'est pas que ça.
C'est aussi un film faisant beaucoup référence à la Bible.
Le premier signe est évidemment la scène nous présentant la cellule de Trent, où celui-ci a dessiné des croix chrétiennes sur toutes les surfaces présentes (y compris sur lui-même).
Ensuite, la cathédrale représente l'équivalent de la Porte des Enfers.
Y est inscrit sur la porte gauche :
"Let These Doors be Sealed by Our Lord God and Let".
(Laissez Ces Portes Scellées par Notre Seigneur Dieu et Partez").
Sur la porte droite:
"Any Who Dare Enter This Unholy Site be Damned Forever"
(Celui Qui Osera Entrer dans ce Site Impie Sera Damné à Jamais).
Avertissement très clair.
De plus, lorsque Cane apparait sur le seuil, trois dobermans surgissent soudainement.
Ils représentent Cerbère, le chien à 3 têtes qui surveillent la Porte des Enfers.
Du coup, le Pont Couvert reliant les deux mondes (le "nôtre" et celui de Cane) peut être vu comme une passerelle enjambant le fameux Styx, fleuve des Enfers.
Trent -qui sera le dépositaire involontaire de la "Nouvelle Bible", soit le dernier roman de Cane- peut donc être perçu comme "le Porteur de la Parole Divine" (ou "le Messager de Dieu").
En outre, voici le dernier "signe".
-John Trent est interné dans la Cellule n°9. (réalité alternative de Cane, donc reflet de la notre).
-La chambre prise au Pickman's Hotel" est la numéro 9 (toujours réalité de Cane, donc reflet).
-Enfin, John prend la chambre n°6 dans le motel, après avoir rejoint notre réalité.
Nous avons donc deux 9 (qui inversés donnent deux 6) + un 6.
Ce qui donne 666.
Pas besoin d'en dire plus...
Le film de Carpenter est donc une suite d'imbrication de divers éléments:
-film dans le film donc double réalités pour Trent,
-nous faisons partie nous -en tant que spectateurs- d'une troisième réalité alternative (surtout lorsque l'on nous montre l'affiche du film In The Mouth Of Madness -tiré du bouquin de Cane et qui est aussi le titre du film que nous regardons- avec les VRAIS crédit technique soit un film de John Carpenter écrit par Michael De Luca produit par...),
-les écrits "prophétiques" de l’œuvre complète de Sutter Cane...
Tout cela donne un film très malin qui se joue de notre perception de la "réalité", telle que nous la connaissons.
Mais qu'est-ce que la réalité, si ce n'est un point de vue subjectif?
Bref, ce film clôt admirablement la fameuse "Trilogie de l'Apocalypse" (auxquels appartiennent The Thing et Prince of Darkness) et mérite (encore une fois) une sérieuse réévaluation.
Comme toujours chez Carpenter, il faut savoir observer et comprendre le fond, au lieu de s'attarder uniquement sur la forme....
"You are what I want..."