Véritables tableaux vivants où les filles de joies, beautés languides dans leurs transparences de dentelles et de batiste s'alanguissent au milieu des ors et des velours, lovées dans des sofas profonds, couvées du regard par leurs clients attitrés qui rendent hommage à leur grâce ou à leur beauté.
c'est ainsi que débute le film de Bonello et l'on ne peut s'empêcher d'évoquer, à l'aube de ce XXe siècle les Renoir, Manet ou Courbet qui ont marqué leur époque.
La photo, on l'aura compris est de toute beauté, et dans ces décors somptueux où le champagne coule à flots, où les filles parées comme des déesses invitent à l'amour, on se prend à penser que le plaisir tarifé dans le raffinement et la volupté avait bien du charme.
Mais une maison close, fût-elle de luxe, reste un bordel et la belle façade ne tarde pas à se fissurer, révélant les coulisses et l'envers du décor : des filles lasses et désabusées aspirant désespérément à une liberté qui leur échappe, criblées de dettes et dépendantes d'une maîtresse des lieux qui les materne et les dirige d'une main de fer.
Des femmes qui se donnent mais se gardent, réservant pour elles seules tendresse et gestes d'amour, complices au delà des mots, esclaves d'une vie qu'elles ont cru choisir, otages des hommes qui les façonnent au gré de leurs fantasmes.
Scènes fabuleuses où la femme, tour à tour poupée automate, geisha soumise, ou simple curiosité érotique, attise et exacerbe le désir masculin, scène tragique où le client, trop beau, trop doux, trop raffiné, fasciné par le regard impavide de la fille attachée, va trancher à vif cette chair offerte, dessinant dans sa folie le sourire atroce de Madeleine : "La femme qui rit " enfantée dans la douleur, symbole incarné de cette condition féminine qui hante le film, à l'instar de ces larmes de sperme s'écoulant sans fin du pauvre visage martyrisé tandis que dans la chambre close la vengeance s'accomplit.
Une superbe évocation donc de ces maisons closes, de ces prisons dorées dont nulle ne pouvait réchapper, prise à son propre piège.
Au XXIe siècle, plus de salon dans les ors ou le velours, vision banale d'une jeune femme triste larguée sur l'autoroute, mais la même misère affective et sexuelle de ces prostituées objets de fantasmes soumises au pouvoir des hommes depuis que le monde est monde.