L'Apparition aurait pu être un pensum, une sorte de précipité religieux infâme, rempli de réponses à des questions toutes faites, mais le film évite ces écueils en questionnant le spectateur plus qu'il ne cherche à répondre à ses questions (un peu à la sauce "Les Revenants", la série de Canal Plus). Il est question ici de savoir si Anna a bien vu la Vierge Marie lui apparaître sur une terre devenue alors pèlerinage (les autorités locales étant un peu dépassées par l'ampleur d'un phénomène encore non reconnu par une église prudente). Cependant, ce que d'emblée Xavier Giannoli semble nous dire, c'est que répondre à cette question est impossible en soi, ce serait comme de prouver rationnellement l'existence de Dieu. Pourtant, c'est bien à un journaliste reporter de guerre, celui qui par définition offre au monde les preuves de la mort, de la désolation, des combats, que l'église confie son enquête (en plus de religieux, de spécialistes de la foi et d'une psychiatre). Cet enquêteur taciturne qui vient de perdre un collègue est joué par un Vincent Lindon toujours aussi habité par ses rôles, qu'il incarne au geste près (même si l'acteur n'a toujours pas décidé d'apprendre à articuler).
Le film, découpé en chapitres, est une longue enquête (aussi "religieuse" que "policière", la frontière étant poreuse), qui offrira quelques rebondissements plutôt inattendus et une réflexion sur le collectif emmené par la foi. Cette question du collectif, de sa croyance, de son besoin de suivre un chemin ensemble, une voie commune, irrigue une grande partie de l'oeuvre du réalisateur de A l'origine au plus récent Marguerite. La mise en scène est la plupart du temps époustouflante, offrant des perspectives inouïes sur les corps entraînés dans la mêlée, ou sur des regards qui se croisent (ceux d'Anna et du reporter notamment), comme sur les gestes simples du quotidien (l'avant Rome de Jacques, la mise en place de l'enquête - son aspect théorique, technique et humain -, les couettes que les religieuses du couvent d'Anna remplissent de plumes...)
Si le personnage central semble plus ou moins athée, il dit lui-même penser qu'il y a quelque chose, mais ne pas savoir quoi, il se laisse aussi habiter par la grâce, sans pourtant choisir de croire ou non. L'enquête canonique devient de plus en plus policière, journalistique, car c'est au concret, au passé d 'Anna que Jacques s'intéresse avant tout, pas à la vérité d'une apparition à laquelle il ne peut se résoudre à croire. Pourtant, Anna semble convaincue de sa vision, frêle, pâle, dévouée. Perdue aussi, entourée par des hommes à la foi bons et cruels, dont un prêtre ultra-protecteur et dépassé par les événements (aussi inquiétant que vraiment très "bon").
L'attention à l'enquête, n'entraîne pas le réalisateur dans un film sans âme, c'est son chemin qu'il cherche à retracer. Et si au 21e siècle, entrer dans les ordres est un chemin à analyser car il n'est plus si naturel, Anna est mise à l'épreuve rudement par le monde qui l'entoure et duquel elle semble vouloir s'extraire avant tout. Qui d'Anna ou Jacques est le plus fort, le plus solide ? Anna semble avoir choisi un chemin, une volonté. Quant à Jacques, il capte les images d'un monde sanglant, doit (sur)vivre au traumatisme d'un souvenir cauchemardesque qui le hante bien plus qu'on ne le croit.
Comme dans ses précédents films, Giannoli joue sur la longueur, le temps qui défile et qui rend son film captivant, envoûtant, par des choix qui nous font sentir les émotions des personnages au plus profond, leurs doutes intimes. Peu importe si la vérité est là ou non, ce qui compte c'est le parcours des êtres, leur capacité à avancer, à se mentir à eux-mêmes, à poursuivre leur quête. Le spectateur ne peut donc qu'être captivé par la dualité entre le visage angélique de l'actrice Galatea Bellugi et la douleur qu'elle dégage, la force rentrée de Lindon et la détresse qu'il nous fait ressentir. Le film est presque organique, tant il cherche à rendre matériel, l'immatériel, tout en acceptant de ne pas répondre à toutes nos questions, mais à nous mettre sur la voie d'une réflexion permanente sur tout ce qui caché, enfoui, modifié. Pourtant, le film invite aussi paradoxalement à se laisser aller à la beauté d'un paysage, d'un instant, d'un regard et à cesser de vouloir tout expliquer. L'Apparition est une oeuvre, d'une grande sobriété comme l'interprétation des acteurs, qui ne juge jamais ses personnages même lorsqu'il met à jour des manipulations et il laisse à la fin un doute planer, que chacun puisse ou non résoudre le mystère d'une apparition divine, d'un miracle, d'un message laissé au monde ou d'un immense mensonge qui aura pourtant déplacé des milliers de pèlerins en quête d'une figure à adorer. Le film n'est pas que religieux, et c'est la sa force, il offre une captivante enquête aux confins du rationnel, tout en étant souvent très terre-à-terre. Une intensité rare est à notée pour une oeuvre aussi simple dans sa forme, que complexe dans son fond et qui nous pousse à ressentir autant qu'à réfléchir.