Durant la Première Guerre Mondiale, un aumônier prêchant à un groupe de soldats emmuré, leur remet en mémoire l'histoire de l'Arche de Noé, y voyant un parallèle avec la Guerre qu'ils sont en train de vivre.


Ecrit par Darryl F. Zanuck lui-même et réalisé par l’immense Michael Curtiz, L’Arche de Noé n’a malheureusement pas eu la chance de passer à la postérité, faisant aujourd’hui figure de pépite oubliée. Pourtant, on a sans doute affaire à un des films les plus monumentaux de l’histoire du cinéma. En effet, si le récit-cadre se déroulant durant la 1re Guerre Mondiale témoigne de grosses naïvetés d’écritures, l’incursion du récit biblique de Noé permet à Michael Curtiz de s’annoncer dès son début de carrière comme un grand réalisateur.
N’ayant pas lésiné sur les moyens matériels comme humains, sa reconstitution colossale du Déluge est une véritable leçon de cinéma, qui a en outre le mérite de nous permettre une cure bien reposante, loin de tous ces effets spéciaux numériques qui ont envahi nos écrans. Pendant quarante minutes, le spectateur ne sait plus où fixer ses yeux tant les images qu’il lui est donné de contempler sont foisonnantes de détails, et pleines d’une vie inégalable. On sent véritablement revivre le récit biblique dans toute son ampleur, et la mise en scène de Michael Curtiz, sobre et efficace, nous immerge littéralement dans le récit. Elle parvient même à nous faire oublier cette étrange hybridation entre film muet et film parlant qu'est L'Arche de Noé, les scènes muettes, tournées par Michael Curtiz, alternant avec quelques rares scènes parlantes tournées avec Roy del Ruth, sachant qu'une demi-heure de scènes parlantes furent amputées par les producteurs.
Mais le plus intéressant du film est évidemment la mise en parallèle de la 1re Guerre Mondiale et du Déluge, dans deux séquences jouées par les mêmes acteurs, qui donne au film toute sa profondeur. Car en effet, le très religieux Michael Curtiz connaît sa Bible sur le bout des doigts et a si bien saisi toute la portée du récit de Noé qu’il parvient à l’actualiser avec intelligence, même si la finesse n’est pas toujours de mise. Ainsi, la 1re Guerre Mondiale apparaît aux yeux du réalisateur dans la lignée du Déluge, c’est-à-dire qu’elle est, elle aussi, un châtiment de Dieu envers une humanité ingrate et décadente. C’est bien là le sens du spectacle auquel nous convie Curtiz : nous faire réfléchir sur la place de la religion dans notre société, son remplacement par l’argent, et avant tout sur le sens à donner aux grandes épreuves que l’humanité traverse. Car chez Curtiz, le châtiment n’a pas qu’un aspect négatif, il porte également une très forte valeur d’espoir : ainsi, si Dieu punit, ce n’est pas uniquement pour faire mourir des millions d’hommes, mais c'est avait tout pour donner à l’Homme une nouvelle chance.
C’est de rédemption qu’il est question ici : alors que l’introduction du film compare judicieusement notre société contemporaine et ses idoles matérialistes à la Tour de Babel et au Veau d’or, la fin du film nous donne à voir ces mêmes hommes, auparavant décadents et égoïstes, qui sortent grandis du conflit mondial et des sacrifices qu’il a engendré. Comme le Déluge, la 1re Guerre Mondiale est, pour le réalisateur, un appel direct de Dieu à l’Homme, une épreuve envoyée pour renouveler son alliance et redonner une chance à l’Homme. C’est bien la raison qui pousse Curtiz à se montrer exagérément optimiste dans la conclusion de son récit : l’alliance renouvelée de Dieu avec son peuple ne pouvait qu’aboutir à une paix définitive ! A moins que l’Homme, dans cette lourde liberté qui est la sienne, refusant de comprendre, ne s’en détourne à nouveau… C’est peut-être bien la plus grande leçon de ce film, d’autant plus dure qu’elle est involontaire.

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le 10 févr. 2018

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Tonto

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