Tenter de discourir sur L'Armée des ombres s'apparente pour moi non pas à évoquer une œuvre que je jugerais comme parfaite mais davantage comme une fresque bouleversante sur une des périodes les plus difficiles de notre histoire et qui ne cesse de déchaîner les passions, toutes plus manichéennes les unes que les autres. C'est alors avec la même subtilité que celle du Chagrin et la Pitié que Melville dépeint ce sujet grave, et d'autant plus sensible dans un contexte post-soixante-huitard et antigaulliste, qu'est la Résistance, celle d'individus qui, telles des ombres, errent encore un peu dans nos esprits habités par cette histoire tragique. Ainsi, ce monument du cinéma ne fait preuve d'aucun angélisme, d'aucune naïveté quant aux atrocités qu'a nécessitées ce pesant et héroïque combat : le légitime meurtre semble alors constituer l'apanage des belligérants, soutenus ici par une rigoureuse tenue de la réalisation. C'est en effet un projet prodigieusement mené que ce film porté par des personnes qui subliment alors leur rôle et métier d'acteurs, incarnant merveilleusement toute la complexité de ce qu'ont pu être les sentiments, les peurs, les réactions et en somme les vies de ces modèles quelque peu oubliés aujourd'hui. La superbe voix de Lino Ventura nous accompagne alors dans les méandres de la guerre pour nous prouver l'habile conjonction du fond d'un film et de sa forme, on l'oublierait presque, cinématographique, tous deux aussi sombre qu'aurait pu l'être une œuvre sur ce sujet sans pour autant sombrer dans le putassier pathétique. En outre, les partis pris esthétiques de Melville permettent de sublimer tous ces moments et situations dans ce qu'ils ont des plus profond, de plus suprême mais tout aussi de plus chétif et de plus désespéré. Enfin, à tout cela s'ajoute une musique parfaite pour ces circonstances, d'autant plus pertinente et géniale que la bande sonore n'est pas avare en silences, meilleurs moyens de retranscrire la difficulté que l'on peut éprouver face à des forces qui ne peuvent que laisser blafards tant elles ne font que nous dépasser : le silence devient alors, plus que jamais, la continuité du bruit...
Mon top 10 :
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