Je lui ai dit dans cinq minutes, mais elle va m'attendre toute sa vie.
Lui-même ancien résistant, Jean-Pierre Melville s'applique à montrer La Résistance à travers les destins individuels de quelques combattants de l'intérieur avec une sobriété exacerbée. Il signe ici une œuvre très personnelle, crépusculaire, a la noirceur omniprésente : dans la photographie, la bande-son, l'austérité de la mise en scène...
Melville filme très simplement, sans pathos ou moments de bravoure, et un tel dénuement lui permet d'atteindre une véritable grâce ; au-delà de filmer des instants, où le silence, les non-dits, l'inaction et l'attente dominent, il capte des sentiments, des valeurs, il saisit les « vraies choses » dans son objectif. Le courage, lorsque les résistants pénètrent dans la caserne allemande déguisés en soldat, la peur, dans les yeux de Simone Signoret, la mort elle-même, dès qu'elle frappe.
Les acteurs sont au diapason de leur réalisateur et misent avant tout sur l'économie, les « gueules » faisant le reste ; le seul défaut du film n'est que la rançon de ses qualités : ce rythme en rupture constante, cette aspérité du fond et de la forme rendent L'Armée des Ombres aussi beau que froid, aussi magistral que terrifiant, finalement un peu comme La Résistance elle-même.
Possiblement le meilleur film sur le sujet jamais tourné, le travail de Melville n'est définitivement pas un feel-good movie, mais bien un diamant noir et brut, une plongée viscérale dans une bien sombre époque, un chef d'œuvre absolu.