J'ai découvert Melville avec "Le Samouraï", et tout en ayant apprécié ses qualités formelles (musique atmosphérique et photographie très élégante) et l'interprétation d'Alain Delon, je dois avouer que l'intrigue m'a laissé plutôt froid. Le manque d'enjeux, le rythme un peu poseur et l'austérité générale y ont surement joué, et tout en lui reconnaissant beaucoup d'atouts, j'ai davantage pris mon pied devant la réinterprétation grandiloquente (et disons-le, un peu kitsch ) de la figure du tueur solitaire par John Woo dans "The Killer", certes bien moins subtile mais beaucoup plus généreuse.
"L'Armée des Ombres" partage beaucoup de similitudes avec son aîné (photographie crépusculaire et musique atmosphérique notamment). Mais c'est le sujet qui fait la différence: ancien résistant, Melville revient sur un thème très personnel en adaptant le livre de Joseph Kessel,et le résultat est une oeuvre émouvante, tendue, maîtrisée et jamais partiale (malgré la justesse du combat des résistants, la noirceur de certains de leurs agissements n'est pas occultée).
Personnellement, les films qui me marquent le plus sont ceux où j'arrive à m'impliquer émotionnellement: "L'Armée des Ombres" en fait partie, grâce à une alchimie parfaite entre intrigue poignante, interprétations plus que convaincantes par des comédiens que l'on sent réellement investis (surement la meilleure prestation de Lino Ventura, ce qui n'est pas peu dire pour un acteur de ce calibre) et mise en scène millimétrée.
Melville ne fait jamais appel au pathos pour susciter l'émotion, et tant mieux: les regards graves et les halètements terrifiés suffisent à transmettre le poids du combat mené. Spielberg s'en est souvenu pour "La Liste de Schindler", un autre exemple d'histoire poignante magnifiée par la maîtrise artistique derrière et devant la caméra.
D'autres ont déjà porté un regard beaucoup plus approfondi et intéressant sur 'L'Armée des Ombres", mais j'ai quand même eu envie d'apporter mon petit grain de sel. C'est non seulement mon film français préféré mais surtout un chef d'oeuvre universel dont l'intensité ne connait aucune frontière culturelle. Et quelle fin :o !!!!
- PS (Petit paragraphe rageur hors-sujet): Le film est sorti en 1969, mais n'est sorti qu'en 2006 de façon très limitée au cinéma aux States et chez moi (au Brésil) il n'a connu qu'une sortie vidéo en 2015. S'il est parfois tentant (mais un peu simpliste) de déclarer à grandes pompes que le public "mainstream" (je ne suis pas fan du terme) n'a pas de gout, faut dire que les distributeurs n'ont pas non plus comme devise la diversification du choix cinématographique à grande échelle. Je n'ai rien de particulier contre les Minions et les super-héros, mais leur massification agressive est, de mon point de vue, un problème. En essayant d'uniformiser et de massifier les habitudes cinématographiques, on se retrouve devant un éventail de films considérés "rentables" très limité, ce qui est plus que dommage. Voilà, ça a été dit et redit mille fois, mais maintenant ça fait mille et une, ça ne peut pas faire de mal, après tout :).