Votez pour moi !
C’est ce cri, à la fois enjoué et désespéré, que lance tout le long du film la jeune et glaçante Tracy Flick. Dès les premières secondes, nous voilà lancés dans son sillage, embarqués dans une course folle pour le titre fantoche de président du conseil des élèves. Une élection qui, outre un funeste simulacre de démocratie, concerne avant tout l’amour-propre des candidats.
Et même, exclusivement l’un d’entre eux.
La jeune blonde sus-nommée.
Pourtant, l’habituelle maladresse de la traduction du titre français se double d’un contresens fâcheux: le film ne tourne pas autour de la seule insupportable blondinette admirablement campée par Reese Witherspoon: il s’agit bien du processus complet des élections de cette école, et de tous les courants souterrains intimes qui les sous-tendent et qu’elles bouleversent.


Dans la peau d’une Flick


Comme à chaque fois, Alexander Payne joue sur les codes et les clichés pour détourner entièrement le propos attendu en quelque chose de singulier.
Comme toujours, un bon film met le doigt sur une vérité profonde (fusse-t-elle commune) et l’illustre avec bonheur. Ici, la vérité éternelle explorée est que l’être humain se construit depuis la nuit des temps sur le mensonge. Pas celui évident qui permet de duper l’autre pour en tirer un avantage ou masquer une faiblesse, mais plutôt ceux, multiples, inavouables et parfois insoupçonnés (mais dans tous les cas permanents) que l’on fait à soi-même, et qui guident nos existences. Ces fables et chimères, inculquées ou développées, auxquelles on s’accroche et qui permettent à nos pulsions primitives et souvent inconscientes de s’aligner sur le monde qui nous entoure.


Et à ce titre, le film est édifiant. Et généreusement distributeur. Pas un personnage n’échappe à la règle. Il y a bien sûr Tracy, qui croit tellement à la vie qu’a choisi pour elle sa mère qu’elle se montre prête à toutes les extrémités pour parvenir à un but dont elle n’a aucune idée du prix ou même de la saveur.
Il y a Jim McAllister, prof modèle et mari comblé qu’un simple grain de sable, dans une vie qui semblait jusque là parfaitement huilée, suffit a faire perdre tout contrôle. Il y a la sœur de l’athlète qui est persuadée de ne pas être lesbienne, puisque qu’elle "ne s’intéresse qu’aux gens. Il se trouve qu’à chaque fois ce sont des filles".
Au fond, c’est sans doute Paul, le bellâtre footballeur blessé, qui se trompe le moins sur son propre compte. Même s’il semble parfois à moitié débile à force de gentillesse et de balourdise pataude, il est plus que les autres conscient de ses forces et faiblesses, et s’il parvient à ne pas trop se faire manipuler par son entourage, il sera sans aucun doute celui qui s’en sortira le mieux.


Sombrer dans les bras de Murphy


Alors bien sûr, dès la séquence d’ouverture, est introduite une notion de destin qui semble très mal cadrer avec l’univers de Payne, quand on regarde avec recul l’ensemble de sa filmographie. Mais, placée dans la bouche pincée de la vénéneuse cheerleadeuse (on ne la voit à aucun moment affublée de pompons ou en train de défiler en majorette, mais l’éventualité de sa participation à ce genre d’activité ne fait aucun doute), cette idée de destin se dédouble presque immédiatement avec celle, beaucoup amusante et conforme à l’esprit du cinéaste, d’une implacable loi de Murphy.
Et si l’existence McAllister sombre si subitement et si totalement, c’est évidemment parce que l’apparence de sa vie parfaite n’est qu’illusion, basée sur une pyramide de petits arrangements avec la réalité. La vitrine d’une carrière idéale explosant avec la visibilité d’un piqure de guêpe sur une paupière.
Dans un de ses plus beaux films, Ingmar Bergman fait dire à un de ses personnages, joué par Gunnar Björnstrand: "on trace un cercle magique et exclue tout ce qui ne convient pas à nos jeux secrets. Mais si la vie brise ce cercle, les jeux deviennent ternes et ridicules. Alors on trace un autre cercle protecteur".
Et c’est bien ce que le personnage joué par Matthew Broderick sera obligé de faire, au bout de sa trajectoire déchiquetée. Sa rencontre fortuite avec sa tant abhorrée ancienne élève, quelques années plus tard, constituera un formidable test de la solidité de ce nouveau cercle. Test bien entendu totalement raté.


Erection, pièges à cons


Alors, c’est vrai, si on fait le compte des thèmes du film (faux-semblants, mensonges, stupidité des dictatures de l’apparence, fondements de la démocratie gentiment bafoués, pulsions sexuelles absurdes, victoire de l’arrivisme), on serait parfaitement en droit de trouver le propos du réalisateur aigre et cynique. Mais c’est sans compter sur la touche éternellement tendre et humaniste de Payne, définissant ainsi le travail même de ce dernier: il ne cesse de porter sur ses protagonistes (jusqu’aux plus irrécupérables) un regard presque toujours affectueux, mixant le tout en un ensemble implacable, lucide mais pourtant totalement emphatique et chaleureux, prouvant (et c’est tout à fait salutaire et réconfortant, et finalement relativement singulier) que la dénonciation et la satire peuvent emprunter d’autre voie que la violence, l’insulte, la froideur, ou la même la farce.
Tout sauf une Payne perdue, donc.


PS: non et puis franchement, je vous le demande: comment peut-on dignement pratiquer une activité quelconque en ayant en permanence en tête quelque chose d’aussi absurde que "votez pour moi" ?

guyness

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